Amanda Sthers : Lettre d’amour sans le dire (3)

13 Fév 2021 | Salon de lectures @ voix haute | 0 commentaires

La Saint Valentin 2021 approche à grands pas, alors… à tous les amoureux solitaires !

Voici encore des extraits choisis pour vous faire partager mon plaisir lorsque j’ai découvert cet ouvrage original, empli d’humanité et tellement bien écrit.

Bonne lecture et bonne écoute.

Benoit

Pour l’épisode précédent, c’est par ici.

giacometti

Amanda Sthers : Lettre d’amour sans le dire

La femme entrée par hasard dans un salon de massage poursuit ici sa longue lettre adressée au séduisant masseur…


Amanda Sthers : « Lettre d’amour sans le dire », Edition Grasset – 2020


Musique : « Beautiful Japanese Music » | Koto Music & Shakuhachi Music (à retrouver sur Youtube ici)

Je n'ai pas tout de suite pensé à vous revoir...

par Amanda Sthers, lu par Benoit | musique : "Koto Music & Shakuhachi Music"

Je n’ai pas tout de suite pensé à vous revoir. Cet épisode inattendu de ma vie sans remous pouvait en nourrir l’imaginaire sans qu’il ne soit nécessaire de prolonger la réalité. Je l’aurais sûrement caché avec mes souvenirs gênants. […] La vie m’a toujours déçue. Les seconds rendez-vous sont rarement à mon avantage.

Pourtant, je suis revenue.[…]

Je connais la vie grâce à la littérature et des phrases entières de roman par cœur. […] J’aimerais un jour vous dire mon amour pour les personnages de tous ces grands livres qui ont été les compagnons de mon existence. […]

Il y a quelque chose de divin dans vos mains dans les gestes que vous avez répétés, comme s’ils étaient ancestraux, que vous n’en étiez que le légataire et que vous transmettiez à mon corps le poids soulagé des corps passés et leur lumière pour me guérir. […]

Sous vos mains, je me suis presque mise à aimer mon corps et j’ai minci au fil du temps alors que je mangeais bien plus. Sans doute parce que j’ai senti s’animer cette boîte qui protège mon cœur que vous m’avez donné envie d’entendre battre à nouveau. J’ai moins eu l’impression de vivre ma vie que d’avoir été vécue par elle. Pour le temps qu’il me reste, je voudrais être la main qui guide le pantin usé au bois qui craque que je suis, qui continue de grandir et se met à espérer qu’il peut s’enfuir. Il faudrait que vous sachiez tout de moi, pour vous écouter à mon tour, puisque nous nous aimons en silence comme nous le faisons depuis le commencement.[…]

J’ai peur d’avoir tout imaginé, de n’être pour vous qu’une personne parmi d’autres.

Je vous écris toutes ces émotions, cette intimité.

Ne suis-je pas ridicule ?

Dois-je poster cette lettre ?

Je ne sais si vous devez la lire mais je n’ai d’autre choix que de l’écrire. Sinon, je vais m’étouffer de tous ces mots retenus.[…]

Pour que vous me compreniez, il faut que vous me connaissiez mieux. Je vais vous raconter des morceaux de ma vie afin que vous sachiez qui je suis et que vous puissiez m’accueillir sans mensonge ou que vous fermiez la porte à jamais. […]

Comment me raconter à vous alors que je me suis tellement tue, que je ne me suis pas avoué mes désirs ? Par où commencer ? […]

« Seul un être brisé peut en réparer un autre. On ne comprend la douleur que si on l’a fréquentée.« 

Je me demande comment se serait déroulée ma vie si j'en avais été le maître...

par Amanda Sthers, lu par Benoit | musique : "Koto Music & Shakuhachi Music"

J’ai désiré un homme. J’étais encore une adolescente, il était comme la plupart des hommes : lâche. De cette beauté insolente qu’ont les types sûrs d’eux, qui savent faire passer les volutes de cigarette devant leurs yeux, qui n’ont peur de rien, ne baissent pas la garde. […] Je l’ai suivi. Il me tenait le bout de la main, comme un fil léger et je courais pour ne pas qu’il la lâche. J’avais du mal à marcher sur mes talons trop hauts dans mon déguisement de femme. Nous sommes allés chez lui. Il m’a déshabillée sans m’embrasser, comme on défait un colis envoyé par la poste pour savoir si c’est un cadeau ou une mauvaise nouvelle. […]

Je n’avais pas lu Beauvoir. La même année, Elisabeth Badinter écrivait L’un et l’autre dans une sphère civilisée tandis qu’on m’apprenait à me soumettre tel du bétail dans une ferme. Comme pour toutes les adolescentes de ma génération, les choses n’avaient pas besoin d’être ordonnées pour que l’on y obéisse. Nous avions tous grandi dans l’idée de cette normalité. J’étais loin de m’imaginer que ce que je vivais était moche. Prête à prendre tout ce que cet homme me donnait, des coups de hanche, des coups de poing, des coups bas et tordus. Tout. Il ne me demandait jamais si j’aimais les gestes qu’il me prodiguait mais il me disait que je lui faisais du bien et que je devais m’en contenter.

Je me demande comment se serait déroulée ma vie si j’en avais été le maître.[…]

Les hommes ont disposé de moi. Jamais je n’ai connu de gestes bienveillants. Je sais que les vôtres sont professionnels et je ne confonds pas. Pourtant, j’ai le sentiment que quelque chose nous dépasse.

Je serais honteuse si je me trompais. Merci de me le dire sans détour si tel était le cas.

A suivre…

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