Affiche du Cri du peuple comportant des extraits du roman de Zola Germinal en 1885

Le journal le Cri du peuple, dissous au terme de la Semaine sanglante, n’est relancé qu’en 1883 par Jules Vallès, de retour d’exil qui en resta le rédacteur en chef jusqu’à sa mort en 1885. Le journal continuera de paraître, dirigée les premières années par Séverine, l’ancienne compagne de Vallès. Il s’éteint en 1922.

Emile Zola adresse 13 lettres sur « la semaine sanglante et la fin de la Commune » au journal Le Sémaphore de Marseille du 22 mai au 3 juin 1871.

Emile Zola est alors journaliste et n’a que 31 ans… ce pourquoi peut-être il ne comprend pas bien les vrais enjeux de ce mouvement insurrectionnel. Il reviendra plus tard sur ses positions…

Dieu nous protège de la peste !

Emile ZOLA 29 mai 1871

Zola sur la Commune
Cité par Jacques Marseille (nouvelle histoire de France) p.814

« Ceux qui brûlent et qui massacrent ne méritent pas d’autres juges que le coup de fusil d’un soldat ». …

et le 29 mai approuvant les massacres commis par les troupes versaillaises : « la tuerie a été atroce. Nos soldats (…) ont promené dans les rues une imlacable justice. Tout homme pris les armes à la main a été fusillé. Les cadavres sont restés semés de la sorte un peu partout, jetés dans les coins, se décomposant avec une rapidité étonnante, due sans doute à l’état d’ivresse dans lequel ces hommes ont été frappés.

Paris depuis six jours n’est qu’un vaste cimetière où les bars manquent pour ensevelir les corps.(…) Paris m’a fait l’effet d’une lugubre nécropole, où le feu n’a pu purifier la mort. Des odeurs fades de morgue traînent sur les trottoirs. »

Le 23 mai 1871 – 2ème lettre

Paris n’a pas fermé l’œil, cette nuit. Une canonnade excessivement violente n’a cessé de faire trembler les vitres. […] On se demande maintenant combien de jours la bataille peut durer dans Paris.
C’est là une grosse question sur laquelle il est difficile de se prononcer. Il faut compter surtout sur la dissolution, sur l’effondrement fatal de la Commune. Si la panique ne se mettait pas à l’Hôtel de Ville et dans la garde nationale, la lutte pourrait être longue et sanglante.
D’autre part, il faut se dire que tous les hommes du 18 mars ne vont pas fuir lâchement ; il en restera malheureusement quelques-uns qui se mettront à la tête des farouches et des désespérés. (…)
D’ailleurs, je crains fort que la prise de l’Hôtel de Ville n’arrête pas la bataille. (…) Elle sera vaincue, mais son agonie peut avoir des conséquences désastreuses. Les affaires ne reprendront jamais que lorsque Paris sera pacifié. […]
Avez-vous lu le décret proposé par le citoyen Vésinier, reconnaissant en bloc tous les enfants naturels ? La phrase est impayable : « Tous les enfants naturels non reconnus sont reconnus par la Commune et légitimés. » Ceci est du haut comique, et l’on croirait que ces messieurs ont semé les bâtards dans leur jeunesse, à ce point qu’ils chargent la patrie de donner une mère à leur nombreuse famille.
Je ne vous parle pas de la proposition de brûler le grand livre et les titres de rente des fuyards, ainsi que de la suppression de tous les titres et de tous les ordres honorifiques.
Maintenant la farce est finie. Les bouffons vont être arrêtés : Rochefort est déjà sous les verrous, et nous espérons que les autres ne tarderont pas à l’y rejoindre. Le canon gronde d’une voix plus haute, ce sont les dernières horreurs et les dernières épouvantes de la guerre civile.

George Sand pendant la Commune Édition de référence :
Sand, Correspondance, éd. Georges Lubin, Classiques Garnier, t. XXII, 1987.

George Sand   Lettre à André Boutet        Nohant 6 avril 1871

(…) « Encore quelques jours et le drame sera dénoué ; espérons que la République n’y sombrera pas. Les insurgés diront qu’elle est finie, puisqu’ils ont plus d’aversion pour leurs modérés que pour les Prussiens et les cléricaux. Ceux-là, on ne les contentera jamais : il n’y en a que pour eux. Ils nous tuent. Mais la France leur résiste, ils ont échoué dans toutes les villes. »

Lettre à Alexandre Dumas fils         Nohant 22 avril 1871
Cher fils,
[…] «  Ce qui se passe à Paris ne me paraît pas du tout un symptôme social et humanitaire. Je ne sais quelle déduction en tireront les philosophes et les économistes. Je n’y vois qu’un fait tombant sous le coup de la critique de fait. Le résultat d’un excès de civilisation matérielle jetant son écume à la surface, un jour où la chaudière manquait de surveillants. La démocratie n’est ni plus haut, ni plus bas après cette crise de vomissements. C’est un vilain moment dans notre vie et dans notre histoire, et les souffrances de tant de gens qui n’en peuvent mais, rendent bien triste. Ce sont les saturnales de la plèbe après celles de l’Empire, et, après cela, les opinions se retrouve­ront en présence comme si rien ne s’était passé. »[…]
Votre maman qui vous aime encore plus.

Lettre à Charles Poncy         Nohant, 25 mai 1871.
La voilà vaincue, cette chimérique insurrection. J’espère que le mari de Solange va revenir sain et sauf, ou qu’elle pourra le rejoindre. Donnez-moi de ses nouvelles dès que votre inquiétude sera dissi­pée. Ce sera bientôt, j’espère. On ne peut se défendre d’espérer après des jours si troublés, la logique des événements permet toujours de croire au bien quand la coupe du mal est épuisée, ne l’est-elle pas ? Je ne sais ce que la France peut subir de plus doulou­reux, elle a eu la dernière des humiliations, le ridi­cule après l’odieux. C’est un malheur pour ceux qui aiment l’égalité et qui ont cru aux nobles instincts des masses, et j’étais de ceux-là ! […] 

Alexandre Dumas fils

Alexandre Dumas fils : lettre au Figaro du 12 juin 1871
« De quel accouplement fabuleux d’une limace et d’un paon, de quel suintement sébacé peut avoir été généré cette chose qu’on appelle monsieur Gustave Courbet ? Sous quelle cloche, à l’aide de quel fumier, par suite de quelle mixture de vin, de bière, de mucus corrosif et d’œdème flatulent a pu pousser cette courge sonore et poilue, ce ventre esthétique, incarnation du Moi imbécile et impuissant ? »

«  Nous ne dirons rien de leurs femelles, par respect pour les femmes à qui elles ressemblent quand elles sont mortes. »

   LES ECRIVAINS CONTRE LA COMMUNE
par Jean-Jacques Cassar

 Dans un livre paru sous ce titre*, Paul Lidsky analyse « la réaction brutale d’un groupe donné, les hommes de lettres, face à un événement contemporain qui les a obligé à prendre parti et à abandonner les précautions ordinaires…». A l’exception notable de Rimbaud, Vallès, Verlaine, et Hugo, ils sont hostiles à la Commune.

 Après les « désillusions » de 1848-1852

La révolution de février 1848 a installé la République, mais la bourgeoisie qui s’engraissait sous Louis-Philippe – la condition du prolétariat y était monstrueuse -, compte bien renvoyer à leurs rêveries les « rouges » et ce Lamartine qui « méditait des choses atroces » : l’impôt sur le revenu, la nationalisation des chemins de fer, et la journée de travail « scandaleusement réduite » de 12 à 10 heures par jour… « Jetant à la rue les cent mille ouvriers des ateliers nationaux », elle a provoqué l’insurrection des Journées de juin 1848, férocement réprimée par Cavaignac : une brèche sanglante entre républicains et ouvriers. Pour Tocqueville, « elle n’eut pas pour but de changer la forme du gouvernement, mais d’altérer l’ordre de la société. Elle ne fut pas une lutte politique… mais un combat de classe ».

Le Second Empire naît d’un coup d’Etat. « Le socialisme a fait en France sa première explosion en 1848 et il a épouvanté le pays. (…) Pour les écrivains « déçus » de la politique, et de « l’immaturité du peuple », l’art doit être « sa propre fin », non se mettre « au service d’une cause ». La cassure avec la société est complète : repli dans « la tour d’ivoire », fuite dans le passé, affirmation du « mouvement de l’art pour l’art ». « Une telle conception rend la culture inaccessible au plus grand nombre ». Depuis son exil, Hugo exprima sa réprobation à Baudelaire en 1859 : « Je n’ai jamais dit :  » L’art pour l’art « ; j’ai toujours dit :  » L’art pour le progrès.»

Mépris envers le bourgeois et le peuple
L’écrivain ne peut s’abstraire des problèmes de son temps, tributaire qu’il est de son milieu, de ses goûts et opinions, de la conception qu’il se fait de son « métier » dans la société où il vit ; dans la mesure aussi où les valeurs révolutionnaires sont en accord ou pas avec celles qu’il promeut par ses écrits.

Une vision aristocratique nourrit l’hostilité envers les bourgeois et les classes populaires, justifiant une société hiérarchisée, fondée sur l’inégalité et l’exploitation de l’homme par l’homme. Pour Renan : « cette conception suppose que la majorité se livre aux basses tâches matérielles pour qu’une élite oisive puisse s’adonner à l’art et en jouir ». D’où l’absolue nécessité de maintenir le peuple dans l’ignorance, en lui fermant l’accès à l’enseignement et à la culture. A quoi s’opposera énergiquement Hugo.

Si ces écrivains critiquent le « bourgeois », « parvenu vulgaire et sans culture », ils ne mettent pas en cause « l’ordre économique bourgeois », qui « leur assure la réussite littéraire ». Leur critique ne débouche pas « sur une sympathie pour les classes populaires ». Bien au contraire, « ce fossé… se traduit par un conflit de type racial ». « Les barbares sont au milieu de nous » écrit Eugène Sue. S’insinue la crainte d’« une menace plus ou moins proche, un cataclysme qui détruira toutes les valeurs pour lesquelles ils vivent ». En outre « le parti républicain est profondément séparé du parti ouvrier, s’appuyant uniquement sur des revendications politiques, sans aucun caractère social… »

La réaction des écrivains

Lidsky les classe en trois catégories : les conservateurs ou royalistes (Alphonse Daudet, Dumas fils, Gobineau, Renan, la comtesse de Ségur, Taine…) ; les tenants de « l’art pour l’art », « désengagés ou désabusés» (Théophile Gautier, Leconte de Lisle, Flaubert, les frères Goncourt…) ; les républicains (François Coppée, Anatole France, George Sand, Zola…).

Il y a ceux qui ont vécu l’événement « en direct » à Paris – à même de constater les faits sur place -, ceux qui, en province, sont dépendants de leurs correspondants et de leur l’opinion, enfin ceux qui, réfugiés à Versailles, se font les propagandistes de Thiers et de son gouvernement.
Le point commun des conservateurs et des désabusés est de dénier à l’événement « toute signification politique, toute rationalité », de le réduire à un « mouvement pathologique et criminel », à « des explications manichéennes… où les Communards deviennent des animaux féroces, des brigands et des assassins sortis du bagne ». Lutte du Bien contre le Mal, de l’ordre contre l’anarchie, du travail contre la paresse… Les dirigeants de la Commune sont « des aigris ambitieux, des fous, des fruits secs », leurs femmes sont « obscènes, hideuses, féroces »… Des « pétroleuses ». Les étrangers sont venus « contaminer la France ». Les républicains expliquent la Commune par des « causes matérielles immédiates : les privations du siège, l’ostracisme de Versailles, qui ont provoqué un état pathologique et maladif, exploités par un groupe d’exaltés… »

Présenter les Communard.e.s comme des « barbares » ou des « bêtes », c’est, non seulement les exclure de la Nation et de l’humanité, c’est aussi, en toute « bonne conscience », justifier d’avance la répression la plus féroce… La plupart des écrivains approuvent : « J’espère que la répression sera telle que rien ne bougera plus, et pour mon compte je désirerais qu’elle fût radicale » (Leconte de Lisle, 29/05/1871). Dumas fils, Flaubert, Taine et Renan « prônent la suppression du suffrage universel et refusent l’instruction primaire laïque, gratuite et obligatoire ».

« La commune fut un moment de vérité ».
« Seuls ont pu échapper, en partie, à l’emprise de la bourgeoisie, soit un grand écrivain comme Hugo, dans la mesure où sa popularité et son exil lui avaient assuré une certaine indépendance vis-à-vis de ce public, soit des écrivains en marge, bohêmes qui n’avaient pas réussi à se le gagner, et n’avaient donc rien à perdre. […] La littérature anti-communarde peut être également considérée comme le point de départ de la littérature polémique d’extrême-droite qui… reprendra les mêmes procédés de langue, les mêmes images et usera de la même violence verbale ».

Jean-Jacques Cassar

* Paul Lidsky : Les écrivains contre la Commune
(Ed. La Découverte 2021 – Ed. Maspero 1970).