Entretien avec Ernest Pignon Ernest réalisé pour l’association Les Amies et Amis de la Commune de Paris 1871  au sujet de l’affiche qu’il a réalisée et offerte à cette association.

Propos recueillis par Claudine Rey.

Voilà déjà un certain nombre d’années qu’Ernest Pignon-Ernest a fait de la rue son champ de bataille des résistances à l’écoute du monde. Adhérent depuis de nombreuses années à notre association, il nous offre, avec cette affiche en adéquation avec notre époque, une image de son talent, qui sera le symbole de notre action pour honorer de façon éclatante, et cela malgré cette période sombre, le 150e anniversaire de la Commune de Paris. Qu’il en soit remercié aujourd’hui.

Nous l’avons rencontré pour échanger sur son travail.

Ernest Pignon Ernest – Bien sûr, je ne prétendrais pas qu’elle illustre les 150 ans de l’histoire de la Commune… Cette image s’est imposée comme en contrechamp de celle que j’avais réalisée lors du centenaire. Tu le sais, j’avais dessiné une image de gisant que j’avais imprimé à des centaines d’exemplaires et que j’étais venu coller lors de l’anniversaire de la Semaine sanglante dans divers lieux de Paris, théâtres des dernières barricades. Ces images ont été très diffusées, elles ont illustré nombre d’ouvrages sur la Commune, notamment ceux qui rappelaient, s’il était nécessaire (mais, avec les projets en cours, on peut encore le rappeler), que le mausolée du Sacré-Cœur est bâti sur des milliers de cadavres.

Dans le contexte actuel qui voit le capitalisme financier, toujours plus immoral, cynique, indécent, engranger des profits gigantesques sur la santé des peuples, j’ai pensé qu’il ne fallait pas — sans oublier les victimes — mettre à nouveau l’accent sur ces répressions sauvages, mais affirmer les avancées, les aspirations, les perspectives dessinées par la Commune. Exalter les espoirs !

ACM – Tes œuvres sont toujours ancrées dans la vie et symbolisent, me semble-t-il, des sentiments très forts de résistance et d’espoir qui permettraient de continuer des combats qui pouvaient sembler perdus. Est-ce le sens de ton œuvre ?

EPE – La plupart de mes images (ce n’est pas le cas pour l’affiche aujourd’hui parce qu’elle sera largement diffusée), sont conçues pour s’inscrire dans un lieu, dans un lieu et un temps. Je les élabore en prenant en compte à la fois les problèmes purement plastiques du rapport au lieu, (l’espace, les couleurs, la lumière, la texture du mur) et en même temps l’histoire de ce lieu, son potentiel symbolique. Mes images sont nourries de tout cela… Elles ne sont pas épinglées comme des papillons, elles s’inscrivent comme une présence dans le temps et l’espace, quand c’est réussi, c’est ce qui leur donne cette résonance… parfois cette force.

Je relisais récemment, dans le Dictionnaire de la Commune de notre ami le grand poète Bernard Noël, le réquisitoire du commissaire du gouvernement au procès des « pétroleuses » : « Et voilà où conduisent toutes ces dangereuses utopies : l’émancipation des femmes. N’a-t-on pas, pour tenter ces misérables créatures, fait miroiter à leurs yeux les plus incroyables chimères : des femmes magistrats, membres du Barreau ? On croit rêver en présence de pareilles aberrations ! » Combien de ces « misérables créatures » sont aujourd’hui magistrates, l’une d’entre elles a même été une exemplaire ministre de la justice.

Le premier regard que l’on jette sur cette affiche pour le 150e anniversaire de la Commune de Paris oblige à prendre une très grande respiration. Cette femme sûre d’elle-même, enceinte de l’avenir qu’elle porte enveloppé dans un drapeau rouge, a une force extraordinaire. Pourtant sereine, elle interpelle, elle interroge, elle questionne et ne laisse personne indifférent. Penses-tu que l’avenir peut être engendré par cet épisode unique dans l’histoire que fut, en 1871, la Commune de Paris ?

Je travaille actuellement sur un projet inspiré des œuvres et du destin de Jacques Stephen Alexis, l’auteur de La Belle amour Humaine… Il écrit : « Il n’est pas possible que tant de passions gaspillées au long de la longue marche de l’humanité n’aient pas en définitive un couronnement. Quelque chose de grand en sortira. »

Cette jeune femme dans sa robe rouge, confiante dans l’avenir, incarne ces avancées qu’exprimait la Commune. Elle est porteuse de ce « quelque chose de grand » que forge l’humanité en marche, et elle sourit ! Elle sourit aux victoires ; hier encore, c’était celle des femmes d’Argentine ! L’imprimeur de l’affiche a roulé trois fois le rouge, il est intense, j’espère que des enfants pourront y découper des cerises.

Réalisation en 1971 par Ernest Pignon Ernest :

Les gisants de la Commune,  installation in situ  au pied de l’église du Sacré Cœur

Non loin du Mur des fédérés, se trouve le Jardin Samuel de Champlain, jouxtant le cimetière du Père Lachaise. C’est au cœur de ce square que se trouve le Mur des Révolutions.
Cette oeuvre a été créée par Paul Moreau-Vauthier en 1909. On peut y percevoir de nombreux visages fantomatiques, comme moulés dans la pierre.
Une citation de Victor Hugo y est gravée : « Ce que nous demandons à l’avenir, ce que nous voulons de lui, c’est la justice ce n’est pas la vengeance »

Mur “Aux victimes de la Révolution”
Jardin Samuel de Champlain
18 Avenue Gambetta, 75020 Paris

 

 

Photos par Myriam Bloch …