Louise Michel, le procès (2)

21 Mai 2021 | Salon de lectures @ voix haute | 0 commentaires

Le 3eme conseil de guerre tient séance à Versailles lors du procès des principaux membres de la Commune

En décembre 1871, Louise Michel est jugée en conseil de guerre pour sa participation active à la Commune. Lors de son procès, celle qu’on surnommait la « Vierge rouge » demande à être exécutée, en solidarité avec les victimes de la Semaine sanglante.

L’accusation :
Notre avis est qu’il y a lieu de mettre Louise Michel en jugement pour :
1- Attentat ayant pour but de changer le gouvernement;
2- Attentat ayant pour but d’exciter à la guerre civile en portant les citoyens à s’armer les uns contres les autres;
3- Pour avoir, dans un mouvement insurrectionnel, porté des armes apparentes et un uniforme militaire, et fait usage de ces armes
4- Faux en écriture privée par supposition de personne;
5- Usage d’une pièce fausse;
6- Complicité par provocation et machination d’assassinat des personnes retenues soit-disant comme otages par la commune
7- Complicité d’arrestations illégales, suivies de tortures corporelles et de morts, en assistant avec connaissance les auteurs de l’action dans les faits qui l’ont consommée

 

La gazette des tribunaux, procès de L. Michel

par Daniel, Marie-Pierre

Le Président : Vous avez entendu les faits dont on vous accuse ; qu’avez-vous à dire pour votre défense ?

L’accusée : Je ne veux pas me défendre, je ne veux pas être défendue ; j’appartiens tout entière à la révolution sociale, et je déclare accepter la res­ponsabilité de mes actes. Je l’accepte tout entière et sans restriction. Vous me reprochez d’avoir participé à l’assassinat des généraux ? À cela je répondrais oui si je m’étais trouvée à Montmartre quand ils ont voulu faire tirer sur le peuple ; je n’aurais pas hésité à faire tirer moi-même sur ceux qui donnaient des ordres semblables ; mais, lorsqu’ils ont été faits pri­sonniers je ne comprends pas qu’on les ait fusillés, et je regarde cet acte comme une insigne lâcheté !
Quant à l’incendie de Paris, oui, j’y ai participé. Je voulais opposer une barrière de flammes aux enva­hisseurs de Versailles. Je n’ai pas eu de complices pour ce fait, j’ai agi d’après mon propre mouvement.
On me dit aussi que je suis complice de la Commune ! Assurément oui, puisque la Commune voulait avant tout la révolution sociale, et que la révo­lution sociale est le plus cher de mes vœux ; bien plus, je me fais l’honneur d’être un des promoteurs de la Commune. Elle n’est d’ailleurs pour rien, pour rien qu’on le sache bien, dans les assassinats et les incen­dies : moi qui ai assisté à toutes les séances de l’Hôtel de Ville, je déclare que jamais il n’y a été question d’as­sassinats ou d’incendie. Voulez-vous connaître les vrais coupables ? Ce sont les gens de la police, et plus tard, peut-être, la lumière se fera sur tous ces événements dont on trouve aujourd’hui tout naturel de rendre res­ponsables tous les partisans de la révolution sociale.
Un jour, je proposais à Ferré d’envahir l’Assemblée ; je voulais deux victimes, M. Thiers et moi, car j’avais fait le sacrifice de ma vie et j’étais décidée à le frapper.

Le Président : Dans une proclamation, vous avez dit qu’on devait, toutes les vingt-quatre heures, fusiller un otage ?

Réponse : Non, j’ai seulement voulu menacer. Mais pourquoi me défendrais-je ? Je vous l’ai déjà déclaré, je me refuse à le faire. Vous êtes des hommes, qui allez me juger ; vous êtes devant moi i visage découvert ; vous êtes des hommes et moi je =e suis qu’une femme, et pourtant je vous regarde en face. Je sais bien que tout ce que je pourrai vous dire ne changera en rien votre sentence. Donc un seul et dernier mot avant de m’asseoir. Nous n’avons jamais voulu que le triomphe des grands principes de la révolution ; je le jure par nos martyrs tombés sur Je champ de Satory*, par nos martyrs que j’acclame encore ici hautement, et qui un jour trouveront bien un vengeur.
Encore une fois, je vous appartiens ; faites de moi ce qu’il vous plaira. Prenez ma vie si vous la voulez ; je ne suis pas femme à vous la disputer un seul instant.

Le Président : Vous déclarez ne pas avoir approuvé l’assassinat des généraux, et cependant on raconte que, quand on vous l’a appris, vous vous êtes écriée : « On les a fusillés, c’est bien fait. »

L’accusée : Oui, j’ai dit cela, je l’avoue. Je me rappelle même que c’était en présence des citoyens Le Moussu et Ferré.

Le Président : Vous approuviez donc l’assassinat ?

L’accusée : Permettez, cela n’en était pas une preuve ; les paroles que j’ai prononcées avaient pour but de ne pas arrêter l’élan révolutionnaire.

Le Président :Vous écriviez aussi dans les journaux ; dans Le Cri du peuple par exemple ?

L’accusée : Oui, je ne m’en cache pas.

Le Président : Ces journaux demandaient chaque jour la confiscation des biens du clergé et autres mesures révolutionnaires semblables. Telles étaient donc vos opinions ?

L’accusée : En effet, mais remarquez bien que nous n’avons jamais voulu prendre ces biens pour nous ; nous ne songions qu’à les donner au peuple pour augmenter son bien-être.

Le Président : Vous avez demandé la suppression de la magistrature ?

L’accusée : C’est que j’avais toujours devant les yeux les exemples de ses erreurs. Je me rappelais l’affaire Lesurques et tant d’autres.

Le Président : Vous reconnaissez avoir voulu assassiner M. Thiers ?

L’accusée : Parfaitement… Je l’ai dit et je le répète.

Le Président : Il paraît que vous portiez divers costumes sous la Commune ?

L’accusée : J’étais vêtue comme d’habitude ; je n’ajoutais qu’une ceinture rouge sur mes vêtements.

Le Président :N’avez-vous pas porté plusieurs fois un cos­tume d’homme ?

L’accusée : Une seule fois, c’était le 18 mars : je m’habil­lais en garde national, pour ne pas attirer les regards.

Le Président : Accusée, avez-vous quelque chose à dire pour votre défense ?

Louise Michel : Ce que je réclame de vous, qui vous affirmez conseil de guerre, qui vous donnez comme mes juges, qui ne vous cachez pas comme la commission des grâces, de vous qui êtes des militaires et qui jugez à la face de tous, c’est le champ de Satory, où sont déjà tombés nos frères.
Il faut me retrancher de la société ; on vous dit de le faire : eh bien ! le commissaire de la République a raison. Puisqu’il semble que tout cœur qui bat pour la liberté n’a droit qu’à un peu de plomb, j’en réclame ma part, moi ! Si vous me laissez vivre, je ne cesserai de crier vengeance, et je dénoncerai à la ven­geance de mes frères les assassins de la commission des grâces…

Le Président : Je ne puis vous laisser la parole si vous continuez sur ce ton.

Louise Michel : J’ai fini… Si vous n’êtes pas des lâches, tuez-moi…

 

Source : La Gazette des tribunaux, 17 décembre 1871.
* Satory : camp militaire, principalement un champ de manœuvres, as à Versailles, où furent emprisonnés dans des conditions éprou­vantes de nombreux communards vaincus. Des insurgés y furent fusillés, parmi lesquels Théophile Ferré.

 

Après ces paroles qui ont causé une profonde émotion dans l’auditoire, le conseil se retire pour délibérer. Au bout de quelques instants, il rentre en séance et, aux termes du verdict, Louise Michel est à l’unanimité condamnée à la déportation dans une enceinte fortifiée. On ramène l’accusée et on lui donne connaissance du jugement. Quand le greffier lui dit qu’elle a 24 heures pour se pouvoir en révision :

« Non ! s’écrie-t-elle, il n’y a point d’appel ; mais je préférerais la mort ! »

 

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