Ballade des accents circonflexes

par Maurice Mac-Nab, lu par Marie-Pierre

BALLADE DES ACCENTS CIRCONFLEXES

 

Lorsque je voyais sur un mot
Planer la forme biconvexe
D’un vulgaire accent circonflexe,
Cela me rendait très perplexe,
Étant alors jeune marmot.

Comme en de sombres paysages,
La chauve-souris des sabbats
Vole en rasant le sol très bas,
Ces accents prennent leurs ébats,
Porteurs de funestes présages !

Tantôt ils semblent occupés
À d’incroyables gymnastiques :
Prenant des poses fantastiques.
Ce sont alors de longs moustiques
Dont bras et pattes sont coupés !

Tantôt les ailes étendues,
Ainsi que l’aigle, roi des airs,
Qui s’en va semer les éclairs
Dans l’immensité des déserts,
Ils semblent planer dans les nues !

Leur forme change à tout moment :
C’est un chapeau de commissaire,
Puis un capuchon débonnaire,
Une bosse de dromadaire,
Ou le fronton d’un monument !

Dans les vieux manuscrits gothiques,
Ils coiffent comme un abat-jour
Les cinq voyelles tour à tour
Qui, sous leurs griffes de vautour,
Font des rondes épileptiques.

Ces accents-là font mon malheur
Et j’ai tenté mainte escarmouche
Contre leur bataillon farouche
Qui vous force d’ouvrir la bouche
Pour dire âne, hôte ou contrôleur !

Vains efforts ! L’accent circonflexe
Étendra toujours sur les mots
Ses bras étrangement jumeaux,
Au grand désespoir des marmots.
.  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .
Et je suis toujours très perplexe !

 

Le Chat noir était un célèbre cabaret de Montmartre,fondé en novembre 1881 par Rodolphe Salis qui fut aussi à l’origine de la revue hebdomadaire du même nom. La Goguette du Chat Noir se réunissait dans ce cabaret, il s’agit d’une ancienne pratique sociale festive en France et en Belgique consistant à se réunir en petit groupe amical et masculin de moins de vingt personnes pour passer ensemble un bon moment et chanter. Situé au pied de la butte Montmartre, le cabaret du Chat noir fut l’un des grands lieux de rencontre du Tout-Paris et le symbole de la Bohème à la fin du XIX siècle.

«Imagine-t-on un lieu qui tiendrait à la fois du salon littéraire, du cabaret, de la salle de rédaction d’un journal et du théâtre d’ombres ? Un lieu canaille et intello, fréquenté par tous : poètes, musiciens, peintres, chansonniers, critiques, comédiens, voyous, cléricaux, anarchistes, énergumènes, bourgeois… Là se réunissaient les Hydropathes et les Fumistes, passaient quelques Vivants, voire des Naturalistes et des Amorphes, se côtoyaient inconnus et célébrités. L’ambiance était bruyante, joyeuse, irrespectueuse et copieusement arrosée. Pour les poètes, Le Chat Noir était aussi bien un lieu de rendez-vous qu’un banc d’essai pour tester leurs élucubrations les plus récentes. Sa création marqua la translation de la vie artistique et intellectuelle du Quartier latin vers Montmartre.»

André Velter : Les Poètes du Chat-Noir, anthologie poétique. Poésie/Gallimard.