Michèle Audin : Comme une rivière bleue (3° et 4°extraits)

15 Mai 2021 | Salon de lectures @ voix haute | 0 commentaires

Comme une rivière bleue (3eme extrait)

par Marie-Christine

Ce passage du roman de Michèle Audin se situe à la fin de la période de la Commune, au cours de cette fameuse semaine sanglante, précisément les jeudi 25 mai et vendredi 26 mai 1871.

La protagoniste Maria, couturière, et militante de cette Commune, est partie à la recherche de Paul, son mari, et décrit ce qu’elle voit, entend et sent dans les rues, en proie au carnage épouvantable orchestré par les Versaillais.

 p 329  Maria à la recherche de Paul

 Elle voit : des persiennes qui pendent des fenêtres ; le ciel plein d’une vapeur rougeâtre ; le bitume du trottoir défoncé par un obus ; des murs troués de balles; au ciel un immense nuage de flocons de papier brûlé ; des paquetages et des chaussures, des guêtres, des képis souillés, maculés de boue, des ceinturons, des pantalons, des capotes, des vareuses; des débris de chaux et de plâtre ; un cahier d’écolier ; des feuilles de papier journal maculées de sang roulées en boule ; des cadavres isolés, faces jaunes ou déjà bleuies, yeux que personne n’a fermés ; des balles bleues et tordues mir le sable de la chaussée, des armes brisées, des gibernes, des cartouches, des clairons bosselés, des brouettes, des tonneaux, des matelas et des chaises déchues, débris redevenus détritus ; un filet rouge de sang frais dans le ruisseau de la rue ; une flaque de sang noirâtre ; le square Saint-Jacques-de-la-Boucherie recouvert d’un monceau de cadavres, corps emmêlés, noircis de poudre, rougis de sang ; sang caillé ; chair rouge ; l’arrière de l’Hôtel de Ville, ruiné et en flammes ; des soldats qui font la popote ; le sang clapotant dans les souliers d’un prêtre au jupon retroussé ; des branches vertes brisées ; le Théâtre du Châtelet, trans­formé en tribunal ; un jeune trompette souriant que l’on fusille.

Elle entend : bruit strident du canon sur les pavés ; grêle continue des balles ; clairon; lignards trinquant bruyamment, pièces blanches jetées sur le zinc ; crépitement des mitrailleuses ; sifflement puis bruit sec des balles qui s’apla­tissent sur les pierres ; cris ; pétarade des feux de peloton ; râles ; applaudissements et hourras ; hurlements « C’est Vallès! », «À mort! » ; gémissements ; bruit des corps qui s’affaissent ; la meute « C’est Ferré! », « À mort! »; fureur, hennissements ; gémissements ; rires.

Elle voit : drapeaux tricolores à toutes les fenêtres ; colonnes de prisonniers attachés deux par deux par les poignets ; parmi eux un garçon bouclé ; arbres en feuilles, sur le quai à l’autre bout du Pont-Neuf ; longue traînée de sang qui suit le fil de l’eau sans se mélanger au fleuve ; uniforme bleu brodé de jaune sur un cadavre, en bas du quai rive gauche, qui ressemble à Kadour ; les arbres ne brûlent pas ; une jeune fille qui fait tourner une ombrelle blanche doublée de vert.

Elle sent : sang, poudre, pétrole, fumée, sang.

Michèle Audin, Comme une rivière bleue, Ed. L'(arbalète, Gallimard, 2017

Comme une rivière bleue (4ème extrait)

par Marie-Christine

C’est la fin de la Commune. Un dernier protagoniste, Paul le journaliste décrit ce qu’il voit aux abords du cimetière du Père Lachaise. Il suit Lissagaray, l’amoureux de celle que Michèle Audin a prénommée Marthe et qui est sans doute Jeanne-Marie Cotton, décédée ce jour-là.

p 334   Paul au Père Lachaise

La dernière fois que le canon de la Commune a tonné contre les positions des Versaillais, ce fut peut-être depuis là-haut, tout en haut du cimetière du Père-Lachaise, le. samedi 27 mai.

La pluie est glaciale. Le terrain gras de boue. L’aube grise comme une banalité littéraire.

Ils sont à peine deux cents. Entre tombes, croix, fleurs, couronnes d’immortelles. Dans la boue et la crotte, ils sont les derniers défenseurs. Paul Vapereau est parmi eux depuis mercredi. Ils se sont battus jour et nuit. Ils ont tiré leur dernier coup de canon. Ils n’ont plus de munitions.

À la mairie du onzième, le canon réveille Lissagaray. Six pièces versaillaises tirent depuis la place du Trône sur la barricade de la mairie.

Paul regarde Paris tortueusement couché le long des deux rives de la Seine. Masse rougeoyante des Tuileries, noires tours de Notre-Dame. Le spectacle est terrifiant et saisissant. La ville incendiée comme sur une mer de lave, les vapeurs opa­lines, les longues traînées rousses et les immenses nuages enflammés. « À nous deux, maintenant. » Défi moins gran­diose que celui que nous avons lancé à la société. Nous avons brûlé le palais des rois.

Lissagaray repart, vers d’autres barricades, les dernières, qui résistent encore.

Paul   voit   les   cheminées   des   fabriques,   là-bas Ménilmontant, autour de l’église Notre-Dame-de-la-Croix, et au-delà Belleville, les flèches effilées de Saint-Jean-Baptiste. (…)

Plus rien n’empêche les académiciens de passer quai de Conti. L’Académie des beaux-arts tient sa séance. Auguste Dumont, le sculpteur du Génie de la liberté, est présent.

Dans la mairie du onzième, un officier d’état civil rédige le neuvième acte de décès de la journée, celui de Jeanne-Marie Cotton, une couturière.

Il est trois heures du soir.

Devant un lit de sacs en toile à matelas, inondée de pluie, grande, belle, brune, morte, comme enrubannée de rouge, Marthe.

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