Edouard Manet 1871 « Guerre civile » lithographie – L’œuvre représente une « chose vue » au coin du boulevard Malesherbes et de la rue de l’Arcade (on y reconnaît les colonnes de l’église de la Madeleine)

L’année terrible
Prologue

J’entreprends de conter l’année épouvantable,
Et voilà que j’hésite, accoudé à ma table.
Faut-il aller plus loin ? dois-je continuer ?
France ! ô deuil ! voir un astre aux cieux diminuer !
Je sens l’ascension lugubre de la honte.
Morne angoisse ! un fléau descend, un autre monte.
N’importe. Poursuivons. L’histoire en a besoin.
Ce siècle est à la barre et je suis son témoin.

Victor Hugo, 1872

À CEUX QU’ON FOULE AUX PIEDS

 Oh ! je suis avec vous ! j’ai cette sombre joie. 
Ceux qu’on accable, ceux qu’on frappe et qu’on foudroie 
M’attirent ; je me sens leur frère ; je défends 
Terrassés ceux que j’ai combattus triomphants ; 
Je veux, car ce qui fait la nuit sur tous m’éclaire, 
Oublier leur injure, oublier leur colère, 
Et de quels noms de haine ils m’appelaient entre eux. 
Je n’ai plus d’ennemis quand ils sont malheureux. 
Mais surtout c’est le peuple, attendant son salaire, 
Le peuple, qui parfois devient impopulaire, 
C’est lui, famille triste, hommes, femmes, enfants, 
Droit, avenir, travaux, douleurs, que je défends ; 
Je défends l’égaré, le faible, et cette foule 
Qui, n’ayant jamais eu de point d’appui, s’écroule 
Et tombe folle au fond des noirs événements ; 
Étant les ignorants, ils sont les incléments ; 
Hélas ! combien de temps faudra-t-il vous redire 
À vous tous, que c’était à vous de les conduire, 
Qu’il fallait leur donner leur part de la cité, 
Que votre aveuglement produit leur cécité ; 
D’une tutelle avare on recueille les suites, 
Et le mal qu’ils vous font, c’est vous qui le leur fîtes. 
Vous ne les avez pas guidés, pris par la main, 
Et renseignés sur l’ombre et sur le vrai chemin ; 
Vous les avez laissés en proie au labyrinthe. 
Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte ; 
C’est qu’ils n’ont pas senti votre fraternité. (…)

Ils errent ; l’instinct bon se nourrit de clarté ; 
Ils n’ont rien dont leur âme obscure se repaisse ; 
Ils cherchent des lueurs dans la nuit, plus épaisse 
Et plus morne là-haut que les branches des bois ; 
Pas un phare. A tâtons, en détresse, aux abois, 

Victor Hugo               L’année terrible1872

L’explosion 1871 – Œuvre attribuée à Manet