La voix de l’animal
Une scène racontée par un animal, ses sensations, sa perception de l’environnement …
Exemple (ici l’accent est mis sur les sons)
J’ai entendu la porte s’ouvrir et il est entré. J’étais content et j’ai commencé à chanter. J’ai entendu une autre voix aigüe, désagréable. Elle a dit Oh ! tu as une perruche ? en agressant les R. Il a ri et il a dit : mais non, c‘est un canari ! Écoute comme il chante. Mais moi, je me suis tu. Je suis allé boire une gorgée d’eau et je suis monté sur la balançoire.
Ils se sont installés sur le canapé et on n’entendait plus que de petits bruits. J’ai commencé à m’agiter à remuer le sable et je l’ai appelé avec de petits cui-cui pour qu’il vienne me parler ou me donner un morceau de pomme. Elle a crié avec sa voix de crécelle : il fait un rafut ton oiseau ! j’ai horreur de ces bestioles. D’ailleurs, elles sont remplies de parasites. On dit que les pigeons … Elle n’arrêtait pas de me vriller les oreilles.
Il s’est levé et a recouvert ma cage avec la couverture. Je me suis endormi.
Le lendemain matin il a retiré la couverture et un grand éclat de lumière a tout envahi. Il a posé la baignoire d’eau fraîche et j’ai pris mon bain. Je me suis ébroué et toutes les bulles de lumière ont explosé ! Il sifflotait l’air qu’il aime bien, alors j’ai repris en canon et nous nous sommes offert un véritable concert. On est bien tous les deux.
A vous maintenant !
TERRE PROMISE
J’ai quitté les plaines gelées du nord depuis plusieurs jours. Le froid s’installait. L’atmosphère devenait presque opaque, monochrome blanc de gris des steppes jusqu’au ciel ; la nourriture, ensevelie dans l’hiver annoncé, commençait à manquer. Alors je suis parti, j’ai traversé les pays, j’ai vu les villes fumantes, les terres aplaties, les monts enneigés. J’ai bu aux rosées du matin, mangé au hasard des rencontres, laissant le soleil pâle m’indiquer le sud. Aujourd’hui, je sens la douceur imprégner toutes choses, les couleurs se multiplier, la chaleur d’un début d’automne méridional me réchauffer. Je suis dans la bonne direction, je le sais. Chaque année je refais le même périple, je ne me trompe jamais.
Le paysage m’accompagne. Il file à la même allure que moi dans le sifflement du vent. Vue d’en haut, la rivière ressemble à une anguille nacrée tortillant dans la campagne. Parfois, dans un méandre, un remous argenté surgit, se noie, renaît un peu plus loin. De part et d’autre de ses rives, bien rangés, alignés entre des bordures sombres, des champs s’organisent en damier vert, jaune, brun. La rivière me guide, je la suis.
Le décor évolue. Quelques boules feuillues posées sur leur tronc projettent leurs ombres rondes sur un troupeau au repos. Moutonnement immobile, nuages blancs bêlant sur la verdure uniforme d’une prairie. Ils disparaissent déjà alors que s’approchent les tuiles vernissées d’un clocher planté dans un bouclier de toits et au pied duquel partent des ruelles grises, comme les fêlures d’un éclat. Elles convergent toutes vers un unique chemin ; à moins que ce ne soit l’inverse, que ce soit le chemin qui, comme le ferait un fleuve, coule vers le village, se divise en delta de rus… de rues… ? La question s’envole aussitôt, emportant la réponse. Tout est dissous, oublié derrière moi.
Dans le lointain, une montagne trouble à peine l’horizon. Ses roches bleues se mêlent aux brumes dans le ciel grand ouvert. L’espace se dilate tout autour de moi, sur un courant d’air tiède.
En bas, à l’aplomb, un chapeau de paille – quel nid douillet il ferait ! – suit un motoculteur. Labour… La promesse d’un festin de vers de terre est bien tentante, mais déjà le bout du voyage s’annonce, le ciel et la mer se rejoignent. L’horizon se courbe : un arc de cercle discret, bleu sur fond bleu, pour une planète toute ronde. Je la connais, moi, la rotondité du monde. Je la sais depuis toujours. Pas besoin de savants calculs, il suffit d’observer…
L’horizon s’échappe, inatteignable. Là, juste au-dessous, une forêt de feuilles chatoie comme un banc de poissons, ponctuée d’une multitude d’olives appétissantes. Un virage sur la pointe de l’aile et je plonge. Le ciel bascule à la verticale, engloutit la mer. Le sol se précipite vers moi. Les arbres grossissent, se dispersent. Celui-ci, tout proche, m’accueille sur sa plus haute branche. Une olive noire sursaute. Je suis arrivé. D’autres me rejoignent. Que la fête commence !
Tu es venu ce matin dans le bouvau repérer la Bête. Tu as demandé pour tes adieux une faveur qui t’a été accordée. Toi et moi seuls sur la piste cet après-midi, avant d’entamer notre danse macabre demain.
Bèn-vengudo, je t’attendais. Pour la première fois, premier au rendez-vous dans le silence magnifique de l’arène écrasée de soleil andalou.
Ce matin, j’ai reconnu dans tes yeux la lassitude qui m’habite. J’ai lu la fatigue, la consternation et cette perte de sens qui dilataient tes pupilles.
Nos aficionados se pâment devant notre « légendaire bravoure ». Et toi et moi n’avons plus envie de cette noblesse dont on nous affuble. Les héros sont fatigués.
Je t’attendais et tu es là devant moi, muet. Oh ! Ce silence. Sans les cris, sans les clameurs et la bronca, on entend mieux toute la tragédie humaine et animale, tu ne trouves pas ?
Je t’attendais et tu es venu ma fiancée, si belle dans ton « traje de luces », ton habit de lumière. Que ta virilité n’en souffre pas, mais c’est bien pour moi que tu te pares comme une amoureuse.
C’est bien pour moi seul que maintenant, toujours silencieux, tu te cambres, virevoltes, danses, enchaînes avec ta seule muleta les passes qui ont fait ton renom.
Aujourd’hui pour une fois, je suis l’acteur et l’unique spectateur de cette dramaturgie sublime et absurde. Notre ultime répétition, sans épée et banderilles, pas plus que de ma part il n’y aura de cornada.
Toi et moi allons maintenant jouer le troisième acte, la faena, la préparation de l’estocade qui n’aura pas lieu aujourd’hui. Tête baissée, sabots frappant le sol, soulevant le sable brûlant, je fonce sur toi qui reste impassible, qui m’attends.
Et nous nous enlaçons comme des amants qui se reconnaissent.
Notre première étreinte fraternelle. Tu ris ? tu pleures ? Allez il est temps pour nous de saluer, de nous saluer. Ave Caesar morituri te salutant !
Merci de cet hommage, tu me le devais.
On se dit à demain pour les jeux du cirque ? Peut-être…