Guy Tirolien, écrivain guadeloupéen de Marie-Galante, était à Paris aux côtés de Léopold Sedar Senghor et Aimé Césaire quand ils fondèrent le mouvement de la Négritude en 1940.
Le droit à l’éducation est un droit fondamental inscrit dans la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE). Ce texte fait partie de notre évocation du droit à l’éducation dans notre lecture scénique « le droit d’être un enfant« .
Guy Tirolien
Prière d’un petit enfant nègre (version intégrale 1943)
Seigneur, je suis très fatigué
Je suis né fatigué.
Et j’ai beaucoup marché depuis le chant du coq
Et le morne est bien haut qui mène à leur école.
Seigneur, je ne veux plus aller à leur école,
Faites, je vous en prie, que je n’y aille plus !
Je veux suivre mon père dans les ravines fraîches
Quand la nuit flotte encore dans le mystère des bois
Où glissent les esprits que l’aube vient chasser.
Je veux aller pieds nus par les rouges sentiers
Que cuisent les flammes de midi,
Je veux dormir ma sieste au pied des lourds manguiers,
Je veux me réveiller
Lorsque là-bas mugit la sirène des blancs
Et que l’Usine
Sur l’océan des cannes
Comme un bateau ancrée
Vomit dans la campagne son équipage nègre…
Seigneur, je ne veux plus aller à leur école,
Faites, je vous en prie, que je n’y aille plus.
Ils racontent qu’il faut qu’un petit nègre y aille
Pour qu’il devienne pareil
Aux messieurs de la ville
Aux messieurs comme il faut.
Mais moi je ne veux pas
Devenir comme ils disent,
Un monsieur de la ville,
Un monsieur comme il faut.
Je préfère flâner le long des sucreries
Où sont les sacs repus
Que gonfle un sucre brun autant que ma peau brune.
Je préfère, vers l’heure où la lune amoureuse
Parle bas à l’oreille des cocotiers penchés,
Écouter ce que dit dans la nuit.
La voix cassée d’un vieux qui raconte en fumant
Les histoires de Zamba et de compère Lapin,
Et bien d’autres choses encore
Qui ne sont pas dans les livres.
Les nègres, vous le savez, n’ont que trop travaillé.
Pourquoi faut-il, de plus, apprendre dans des livres
Qui nous parlent de choses qui ne sont pas d’ici ?
Et puis elle est vraiment trop triste, leur école,
Triste comme
Ces messieurs de la ville,
Ces messieurs comme il faut
Qui ne savent plus danser le soir au clair de lune,
Qui ne savent plus marcher sur la chair de leurs pieds,
Qui ne savent plus conter les contes aux veillées.
Seigneur, je ne veux plus aller à leur école !
in, Léopold Sédar Senghor : « Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française » Presses Universitaires de France, 1948
Retrouvez ce texte et bien d’autres évocations littéraires des droits de l’enfant dans notre lecture scénique « Le droit d’être un enfant ».
Première représentation le 6 janvier à Contes.
Ce texte nous interroge sur ce qu’est « le droit à l’éducation » inscrit dans la Convention Internationale des Droits de l’Enfant….
De quelle éducation s’agit-il selon les peuples concernés ?
Au nom de ce « droit » n’a t-on pas détruit des cultures ?