Nous avons choisi ce texte pour la lecture que nous devions faire à la médiathèque de Contes à l’occasion de la clôture de l’exposition sur l’olivier… le 24 avril dernier. Ce texte est paru pour la première fois en 1931 dans la revue Bifur. C’est une évocation du moulin à huile à l’ancienne, que Giono compare à un enfer, un travail extrêmement dur où les hommes se relaient, quasiment nus du fait de la chaleur…
… On dénomme d’ailleurs les « Enfers » (et c’est dit dans l’exposition) la cuve où tombent cette eau qui a lavé l’huile et les déchets qu’elle a entraînés et cela dégage une odeur nauséabonde.
Comme souvent, Giono s’insurge contre la modernité : « On a des moulins à l’électricité. Ce qui me fait plaisir c’est qu’une fois ça marche, l’autre fois ça ne marche pas … » C’est un débat qu’animera de nombreuses fois cet auteur, tiraillé entre sa révolte contre les dures conditions de travail des plus humbles et sa crainte que les avancées techniques n’effacent, au final, la beauté des pratiques ancestrales.
Le poème de l'olive
Ce temps des olives. Je ne connais rien de plus épique.
De la branche d’acier gris jusqu’à la jarre d’argile, l’olive coule entre cent mains, dévale avec des bonds de torrents, entasse sa lourde eau noire dans les greniers, et les vieilles poutres gémissent sous son poids dans la nuit. Sur les bords de ce grand fleuve de fruits qui ruissellent dans les villages, tout notre monde assemblé chante.(…)
Si l’air est âpre c’est tant pis. Ça c’est le temps de la cueillette, le temps où l’on trait l’arbre comme on ferait pour traire une chèvre, la main à poignées sur la branche, le pouce en l’air, et puis, cette pression descendante. Mais, au lieu de lait, c’est l’olive qui coule.(…)
Tout d’un coup, une porte claque, un jet de vapeur, un ruissellement de lumière. Là-bas, au fond, des hommes nus tout luisants, de grandes vis luisantes aussi qui descendent du plafond et s’enfoncent dans la terre, des hommes nus cramponnés à des barres comme des désespérés et qui tirent avec tout l’arc de leurs reins. Un grand chant grave, chaud et poisseux leur souffle son haleine de lion, et les voilà comme des hirondelles éparpillées, toutes en cris.
C’est le temps du pressoir, le temps où, autour du pressoir, la dure peine écrase l’homme sous ses chaînes. (…)
Là-haut, dans le grenier, le maître, avec une grande pelle de bois remue le tas des olives. Il annonce : « Elles sont prêtes. » Une bonne odeur de campagne et d’arbre et de terre coule le long des escaliers. Et, par le trou de la serrure, le froid fait passer une longue tringle de gel qui vient piquer le dos de la main, là, jusque sur le rebord de l’assiette de soupe.
L’homme s’est arrêté au seuil, et a dit : « Salut » puis il est resté là. (…)« Ah, il dit, elles sont prêtes alors?
— L’homme les a bien remuées, mais vous verrez, montez à peine. »
Il a retroussé ses manches ; il a plongé son bras nu dans le tas d’olives, jusqu’au fond, comme s’il voulait accoucher une vache. Il est là, presque vautré sur le tas d’olives, à tâter là-bas, au fond, la moiteur, la chaleur, tout un tas de choses qui sont comme du vent, pas de prise facile, et qu’il faut connaître d’instinct en chien de chasse.
« Ça va, elles sont prêtes ; on viendra les chercher. (…)
Quelle heureuse surprise que ce texte ! Que je viens de relire et réécouter…