« A la vue de cette spectaculaire intervention du Théâtre du Soleil lors de la manif de soutien à l’Hôpital public et à ses soignants le 16 juin dernier, nous nous sommes souvenus des paroles de sa directrice, Ariane Mnouchkine, parues dans Télérama en mai. Nous vous en livrons encore quelques extraits »
Anne B
Lors de la manifestation en faveur du soutien à l’Hôpital public et aux soignants mardi 16 juin, à Paris Le Théâtre du Soleil est intervenu, avec sa magnifique marionnette de la Justice, attaquée aux Invalides par le Mensonge, la Manipulation, le Mépris, l’Arrogance, le Cynisme… et des nuées de corbeaux. Une de leurs pancartes reprenait une citation de la tragédie d’Eschyle, Agamemnon (traduction Ariane Mnouchkine)
Lourde est la profération coléreuse des citoyens
Il faudra payer le prix de la malédiction populaire
(vers n° 456-457)
Qui a versé des flots de sang retient le regard des dieux.
(vers n°460)
Pour mémoire, ce dont il est question dans cette tragédie d’Eschyle datant de 458 avant notre ère :
La première pièce de la trilogie raconte le retour à Argos d’Agamemnon, victorieux de la guerre de Troie. Mais ce triomphe n’a pas permis d’oublier le sacrifice d’Iphigénie, sa jeune fille que la déesse Artémis a exigé en échange de vents favorables au départ vers Troie. Iphigénie a ainsi été sacrifiée par son père à la « raison d’État ». Dix ans après le sacrifice de sa fille Iphigénie, dix ans après le départ de son mari Agamemnon, Clytemnestre va assassiner celui-ci pour rendre justice à l’amour maternel qu’elle portait à sa fille. Agamemnon ne revient pas seul de la guerre de Troie, il en ramène une captive, nouvelle concubine, Cassandre, fille du roi Priam, monarque de Troie. Partie du précieux butin de guerre, elle a été offerte au général victorieux, ce qui ne manque pas de susciter la jalousie de son épouse Clytemnestre. Mais la rumeur dont le chœur (personnage central de cette tragédie) se fait l’écho présume que Clytemnestre a un amant : Égisthe, fils de Thyeste. Lui aussi a de bonnes raisons de vouloir se « venger » d’Agamemnon. Clytemnestre accueille cependant Agamemnon comme un roi. Cassandre qui a le don de prédiction mais est condamnée à ne pas être crue, revient, dans un long dialogue lyrique avec le chœur, sur la généalogie maudite des Atrides et prédit la mort d’Agamemnon et la sienne propre. Puis Agamemnon et Cassandre sont tués. La pièce se conclut sur le triomphe d’Égisthe et de Clytemnestre, nouveaux souverains de la cité argienne.
Extraits de l’entretien d’Ariane Mnouchkine publié sur Télérama le 9 mai 2020
J’entends s’exprimer dans les médias des obsédés anti-vieux, qui affirment qu’il faut tous nous enfermer, nous, les vieux, les obèses, les diabétiques jusqu’en février, sinon, disent-ils, ces gens-là encombreront les hôpitaux. Ces gens-là ? Est-ce ainsi qu’on parle de vieilles personnes et de malades ? Les hôpitaux ne seraient donc faits que pour les gens productifs en bonne santé ? Donc, dans la France de 2020, nous devrions travailler jusqu’à 65 ans et une fois cet âge révolu, nous n’aurions plus le droit d’aller à l’hôpital pour ne pas encombrer les couloirs ? Si ce n’est pas un projet préfasciste ou prénazi, ça y ressemble. Cela me fait enrager.
Que faire de cette rage ?
Cette rage est mon ennemie parce qu’elle vise de très médiocres personnages. Or le théâtre ne doit pas se laisser aveugler par de très médiocres personnages. Dans notre travail, nous devons comprendre la grandeur des tragédies humaines qui sont en train d’advenir. Si nous, artistes, nous restons dans cette rage, nous n’arriverons pas à traduire dans des œuvres éclairantes pour nos enfants ce qui se vit aujourd’hui. Une œuvre qui fera la lumière sur le passé pour que l’on comprenne comment une telle bêtise, un tel aveuglement ont pu advenir, comment ce capitalisme débridé a pu engendrer de tels technocrates, ces petits esprits méprisants vis-à-vis des citoyens