Adolphe Thiers, le bourreau

Par Olivier Le Trocquer (Hors série L’Humanité 2021)

Le chef de file du parti de l’ordre et de la propriété privée se prétendait « modéré», mais a fait massacrer les communards, qu’il voyait comme une « classe d’exaltés».
Sa conception de la «République conservatrice » est toujours vivace de nos jours.
Thiers est l’archétype du notable dont l’histoire du siècle décrit l’ascension : avocat, journaliste, historien de la Révolution puis du Consulat et de l’Empire, devenu ministre, puis président du Conseil sous la monarchie de Juillet. C’est un faiseur de chef d’État, avant de le devenir lui-même. Louis-Philippe en 1830; Louis-Napoléon Bonaparte en 1848. Monarchiste modéré jusqu’en 1870, il se réclame sans cesse de la «modération».
Sa politique : la défense de l’ordre politique et social, la volonté de mettre fin à la Révolution et le refus d’une monarchie antiparlementaire.           …/…

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D’où sa condamnation de l’insurrection de juin 1848, ou son opposition à Louis-Napoléon Bonaparte une fois celui-ci élu. Réapparu comme député de l’opposition libérale dans les années 1860, Thiers refuse de condamner ou d’approuver la révolution du 4 septembre. Peu importe la forme du régime tant qu’il permet aux notables d’exercer leur gouvernement et de protéger la propriété privée, la famille et la liberté d’une presse modérée. Les communards ont à ses yeux un triple défaut : ce sont des partisans de la Terreur de 1793 ; ils se révoltent contre une Assem­blée et contre son autorité personnelle ; ce sont des « communistes », qu’il résume ainsi : une « classe d’exaltés ».

Pour sauver la société, il lui faut mettre fin par la force à « l’insurrection du 18 mars ». Aucun compromis : Paris n’a pas de droits légitimes ; les communards doivent se rendre, ou il les fera écraser.
Tirant la leçon du 24 février 1848, il donne l’ordre d’évacuer la ville : troupes, ministres et administration doivent rejoindre Versailles pour préparer la reconquête par des troupes rééquipées, augmentées des prisonniers libérés par Bismarck à sa demande. Cela explique le temps de tranquillité relative dont dispose la Commune, avant que Thiers ne lance l’armée. Le bombardement et la reprise sanglante de la ville ne suscitent en lui nulle hésitation : les « bons citoyens » ont selon lui quitté Paris, et les communards ne sont que les anonymes qu’il avait privés de suffrage universel par la loi du 31 mai 1850.

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D’où sa condamnation de l’insurrection de juin 1848, ou son opposition à Louis-Napoléon Bonaparte une fois celui-ci élu. Réapparu comme député de l’opposition libérale dans les années 1860, Thiers refuse de condamner ou d’approuver la révolution du 4 septembre. Peu importe la forme du régime tant qu’il permet aux notables d’exercer leur gouvernement et de protéger la propriété privée, la famille et la liberté d’une presse modérée. Les communards ont à ses yeux un triple défaut : ce sont des partisans de la Terreur de 1793 ; ils se révoltent contre une Assem­blée et contre son autorité personnelle ; ce sont des « communistes », qu’il résume ainsi : une « classe d’exaltés ».

Pour sauver la société, il lui faut mettre fin par la force à « l’insurrection du 18 mars ». Aucun compromis : Paris n’a pas de droits légitimes ; les communards doivent se rendre, ou il les fera écraser.
Tirant la leçon du 24 février 1848, il donne l’ordre d’évacuer la ville : troupes, ministres et administration doivent rejoindre Versailles pour préparer la reconquête par des troupes rééquipées, augmentées des prisonniers libérés par Bismarck à sa demande. Cela explique le temps de tranquillité relative dont dispose la Commune, avant que Thiers ne lance l’armée. Le bombardement et la reprise sanglante de la ville ne suscitent en lui nulle hésitation : les « bons citoyens » ont selon lui quitté Paris, et les communards ne sont que les anonymes qu’il avait privés de suffrage universel par la loi du 31 mai 1850.

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En septembre 1871, il se réclame encore de la « modération » : il n’a pas fait exécuter en masse tous les prisonniers. La justice des conseils de guerre peut mettre hors d’état de nuire la « classe d’exaltés ». Thiers peut se rallier à la République, selon son mot de 1872  : « La République sera conservatrice ou ne
sera pas.
» Cette « modération » explique les foules présentes à son enterrement en 1877. Son tombeau, élevé à la gloire du libérateur du territoire au Père-Lachaise, incarne cet ordre. Sans doute le sens

actuellement donné par les majorités parlementaires au mot de République tient de cet héritage …          

Henri Guillemin (historien) et Henri Lefebvre (philosophe)

dans le N° de la revue Papiers, la revue de France Culture n°36
(reprise de propos tenus lors d’un débat diffusé en juin 1965 par France Culture, archives INA)

Couverture M. Thiers par Henri Guillemin  Henri Guillemin

Il y a alors divorce entre cette Assemblée nationale, qui s’est réunie à Bordeaux, et Paris. D’un côté il y a la France possédante qui a fait voter les non-possédants, mais qui a maintenant une majorité écrasante de députés de droite. Et de l’autre côté, les Parisiens, qui sont détestés par la majo­rité de la France, par les chefs, parce qu’ils représentent précisément la résistance, l’idée républicaine d’une trans­formation sociale. Dans la presse de l’époque, on trouve des déchaînements contre Paris. Des journalistes comme Louis Veuillot disant: « Il faut décapitaliser Paris. Il faut que l’As­semblée nationale soit à Tours, à Bourges, où on voudra, ou vous la laissez à Bordeaux, mais pas Paris, parce que Paris est une ville abominable. »

Il y a à Paris un mouvement d’indignation. Pendant le siège de Paris, on avait permis que les dettes commerciales ne fussent pas payées, et là, immédiatement, l’Assemblée de Bordeaux exige que les petits commerçants parisiens payent, et tout de suite. S’ajoute à cela la provocation, calculée, de Monsieur Thiers, qui va faire reprendre les fameux canons.

Les Parisiens avaient versé beaucoup d’argent pour qu’il y ait des canons pour le siège, conservés comme une espèce de symbole. Quand les troupes allemandes étaient entrées dans Paris — d’ailleurs très modestement, pendant une journée et demie —, on avait retiré tous les canons qui étaient sur l’emplacement où ces troupes devaient se trouver et on en avait mis un grand nombre à Montmartre. Et Monsieur Thiers décide de lancer une opération militaire pour reprendre les canons. C’est le 18 mars, jour où la Commune va éclater. (…)

Après ce 18 mars, on assiste à ceci que l’armée, la haute armée, l’état-major, qui ne voulait pas se battre depuis 1870, parce que défendre la République ça lui paraît monstrueux, est soudain saisie d’une ardeur qui touche à la frénésie, pour se battre — mais pas contre l’envahisseur, non, les Prussiens sont d’honnêtes gens ! —, se battre contre Paris. On assiste alors à une espèce de zèle des généraux, Bazaine lui-même [qui avait largement contribué à la défaite de 1870] demande à reprendre du service. Ils sont enfin dans la guerre qui les intéresse, la guerre contre le prolétariat.

Grandeur de la Commune ! Je sais très bien qu’il y a eu des incompétences, des rivalités, mais il y a eu là tout de même un soulèvement magnifique.

 

    Henri Lefebvre

Il y a pour moi trois ordres ou trois plans pour observer la Commune : les causes, les raisons et les significations. Les causes sont historiques. C’est le Second Empire, la croissance industrielle, la formation du prolétariat et l’éveil de sa conscience, la première Internationale — qui n’a pas dirigé les événements mais qui a été un ferment.
En second lieu, les raisons. Ce sont des idéologies. Il y a en présence le jacobinisme et ses survivances, le proudhonisme et ses positions compliquées, il y a aussi des germes plus ou moins obscurs de pensée marxiste — Marx avait des correspondants à Paris.
Et puis la conscience historique est très vivante, plus vivante que de nos jours, sans doute parce qu’appuyée sur les mythes de Paris, sur l’image de Paris, de la France, des révolutions encore toutes proches. Une conscience historique efficace, voilà pour les raisons.
Et puis il y a l’ordre des significations, qui se dévoilent par la suite et encore aujourd’hui, par exemple : la Commune est décentralisatrice. Grand paradoxe !
Avec la Commune, Paris se proclame capitale, «mesure du monde », et en même temps cette ville révoltée veut décen­traliser, elle affirme que toutes les autres villes ont droit à leur autonomie, à être des unités territoriales réelles. La ville dans le pays le plus centralisé du monde, la ville-capi­tale furieuse d’être décapitalisée par Versailles et ceux de Versailles, proclame la décentralisation. (…)
Ce que la Commune a voulu obscurément, à moitié consciemment, ce n’était pas seulement la disparition de l’État, c’était la réorganisation de la société sur de nouvelles bases, ou plus exactement sur ses bases réelles, c’était ce que nous appelons maintenant l’autogestion, où les inté­ressés, serviteurs de l’État ou gens des services publics, mais aussi dans l’industrie, dans l’agriculture, s’organisent eux-mêmes et gèrent leurs instruments de travail. On la voit esquissée, inventée par la Commune.