Encore une soirée passionnante introduite, pour ce qui fut de la partie historique, par Jean-Jacques Cassar (première colonisation jusqu’au XVIII°) et Claude Ferrucci (deuxième colonisation XIX° et XX° siècles), suivie par un débat que tout le monde aurait bien volontiers poursuivi… Nous nous sommes donc donné rendez-vous au troisième trimestre, pour une nouvelle lecture-débat dont le thème sera l’esclavage et la traite négrière.
Ce prochain débat, dans la suite logique de « La colonisation » sera, de plus, introduit par une lecture scénique quelques jours avant,  à laquelle nous sommes en train de travailler  en direction des collégiens de Contes et qui aura une version « tout public ».

Nous vous tiendrons bien sûr informés des dates de tous ces évènements.

A le demande de certains participants et d’autres qui n’ont pu être présents, nous vous communiquons ci-dessous les interventions de Jean Jacques et de Claude ainsi que leur bibliographie.

 

LA COLONISATION

Première partie, jusqu’à la fin du XVIII° siècle

Aborder ce sujet, c’est traiter une question particulièrement sensible, où la mémoire, les plaies restent à vif dans nos sociétés post-coloniales : déraciner des millions d’êtres humains, les  priver de liberté, les déculturer, les asservir pour en tirer profit par le travail forcé ou l’esclavage, est aujourd’hui considéré comme un crime contre l’humanité. Toutefois, le sujet doit être traité, non en idéologue, mais en historien, c’est-à-dire en se fondant sur des documents indiscutables, en situant le phénomène dans le temps long de l’histoire, pour essayer de le comprendre, ce qui ne veut pas dire l’excuser.

« L’histoire en tant que discipline savante doit toujours s’autonomiser des enjeux mémoriels pour toujours progresser… Il faut examiner la colonisation comme une relation de pouvoir qui a permis aux groupes les plus puissants du moment d’imposer leur domination sur les plus faibles, sans empêcher pour autant que des liens se tissent entre les uns et les autres. Les dominés ont le plus souvent réussi à tirer sur ces liens, un peu comme on tire sur une corde, pour transformer peu à peu les rapports de force. Voilà pourquoi les empires coloniaux qui ont existé dans l’histoire ont fini par s’effondrer. »  Gérard Noiriel*.

Le Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire est une association fondée en France en 2005 par les universitaires Gérard Noiriel, Michèle Riot-Sarcey et Nicolas Offenstadt. Regroupant des historiens, son objet est de veiller sur les usages publics de l’histoire à des fins mémorielles, notamment par les hommes politiques. 

«  Les jugements de valeur sont légitimes pour les citoyens engagés dans des combats de mémoire, mais un historien doit s’en distancier s’il veut expliquer et comprendre le passé. Les polémiques actuelles se focalisent sur un moment bien précis de l’histoire multimillénaire et universelle de la colonisation, qui coïncide en gros avec la IIIe République. Comment concilier en effet « les valeurs républicaines » sans cesse invoquées par nos dirigeants, avec une politique coloniale qui a été imposée par des guerres, des destructions, des crimes de masse ?  La colonisation, ce sont des millions d’acteurs qui ont joué des rôles multiples et contradictoires. Aussi le diagnostic de l’historien doit porter sur un système oppressif, sur une forme particulière de pouvoir, pas seulement sur des hommes. » Gérard Noiriel.*

 Le colon, du latin « colonus », c’est celui qui met en valeur (latin « colere » = cultiver, soigner) une terre. D’où « cultura », la « culture » est le soin que l’on donne à la terre, puis l’attention apportée à l’esprit, les connaissances acquises.

 

Les historiens ont mis en relief les faits suivants :

  • La colonisation est un phénomène universel et millénaire. Il s’explique, au départ, par le souci de la « paix civile » : la « polis » grecque envoie « outre-mer » ses éléments les plus jeunes et les plus turbulents fonder d’autres cités, qui conservent des relations avec la « métropole », la « ville-mère ». Plus tard, création de colonies pénitentiaires en Australie (Angleterre) ou en Nouvelle-Calédonie (France) : envoi de forçats, prostituées, délinquants… Déportation des révolutionnaires (juin 1848, décembre 1851), des Communard.e.s…
  • La recherche de terres et de ressources agricoles ou minières, et de débouchés commerciaux.
  • Il y a l’esprit de conquête (empires égyptien, orientaux, empire d’Alexandre, empire romain, aztèque, inca, arabe, ottoman, russe…). Sinon comment expliquer, par exemple, l’extension du monde arabo-musulman depuis le désert d’Arabie jusqu’à Tachkent et Gibraltar, ou celui du monde russe depuis Novgorod jusqu’à Vladivostok, entre autre…
  • Il y a enfin la dimension religieuse et idéologique : porter la « bonne parole », pour évangéliser les populations avec les missionnaires, ou pour leur apporter les « lumières de la civilisation », la nôtre… D’où une contradiction qui ne tardera pas à éclater entre les principes revendiqués (évangiles, droits de l’homme) et les réalités de la colonisation. Fidèle à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, Robespierre avait tonné à l’Assemblée : « Les peuples n’aiment pas les missionnaires armés ». Principes qui seront d’ailleurs retournés contre les colonisateurs par les tenants de la décolonisation.

 

Dès le XVIe siècle, des voix s’élèvent pour dénoncer les crimes commis aux « Indes occidentales », telle celle de Bartolomé de Las Casas qui va se faire le ferme défenseur des Indiens auprès du roi d’Espagne en apportant son témoignage sur les horreurs commises par les conquistadors… Ou de Montaigne, fidèle à la conception de l’unité du genre humain et à la défense du « droit naturel ». Son texte sur « les cannibales » dans les « Essais », est à l’origine du mythe du « bon sauvage », qui s’épanouira au XVIIIe siècle.
Mythe, car les pays envahis n’étaient pas des « paradis terrestres », ils étaient eux aussi traversés de conflits inter ethniques. Et les peuples « découverts » étaient, comme nous, soumis à des préjugés (cf. Lévi-Strauss). Sinon comment expliquer la chute brutale des Empires incas et aztèque. Les sacrifices humains ne sont pas un exemple d’humanité… Cortès trouva des « auxiliaires » parmi les peuples vaincus et maltraités par les Aztèques. On connaît l’histoire de cette Amérindienne, la Malinche, qui le guida dans sa conquête.

La Malinche, ancienne esclave, interprète qui aida Cortès dans sa conquête du Mexique

Le premier empire colonial français (XVIe – XVIIIe siècles) :

Il fait suite aux « grandes découvertes » et débute sous François 1er : Canada, Antilles, Louisiane, comptoirs du Sénégal, de l’océan Indien (Mascareignes), de l’Inde… après des tentatives avortées en Floride et au Brésil.

Se pose d’emblée la question de la mise en valeur des terres, car, malgré les calamités (guerres, disettes, épidémies), les Français, au contraire des Anglais, émigrent peu. D’où l’appel à une main d’œuvre forcée dans le cadre du « commerce triangulaire ». « Avec le développement de la Traite atlantique, l’esclavage devint la forme extrême de l’exploitation des classes populaires » écrit G. Noiriel.

Cette première phase fut marquée en 1685, sous Louis XIV, par la promulgation du Code Noir qui définissait l’esclavage dans les possessions royales ; puis, en pleine Révolution Française (22 août 1791), par le grand soulèvement des esclaves de St Domingue
(premier producteur mondial de sucre), avec Toussaint-Louverture. Cette révolte eut pour conséquence la création du premier Etat libre du Tiers-Monde, qui allait prendre le nom indigène d’Haïti, et l’abolition par la Révolution de l’esclavage en 1794. Celui-ci fut rétabli par Bonaparte en 1802…

 

LA COLONISATION 

Deuxième partie (XIXe-XXe siècle)

Seconde Restauration (Charles X, 1824/1830), Monarchie de Juillet(1830/1848)
Second Empire (1852/1970), IIIe République (1870/1940) et IVe République (1946/1958)

 

RESUME

Contexte du développement de l’empire colonial français

Une logique impérialiste

Cette politique d’impérialisme est commune aux puissances « occidentales » (Angleterre, France, Allemagne, Russie, USA) et au Japon (seul état non européen).
Tous sont des pays industriellement très avancés.

« Le libre-échange réunit l’humanité, écarte tout antagonisme de race, de credo et de langue, il est la condition d’une paix éternelle entre les hommes », Richard Cobden (1804-1865), industriel et homme d’état anglais ardent promoteur du libre-échange.

Les moteurs de l’impérialisme occidental (Europe et USA) 

  1. Le premier est de nature économique et commerciale. Pour l’anglais J. A. Hobson : « L’effort des grands maîtres de l’industrie pour faciliter l’écoulement de leur excédent de richesses, en cherchant à vendre ou à placer à l’étranger les marchandises ou les capitaux que le marché intérieur ne peut absorber. » Et le moyen d’obtenir une main d’œuvre docile et à faible coût.
  2. Il y a les effets de la surpopulation en Europe (principalement en Allemagne et en Angleterre). Entre 1800 et 1914 la population est passée de 180 à 430 millions d’Européens, ce qui a généré 55 millions d’émigrants.
  3. Il y a enfin tentative « d’occidentaliser le monde» à travers la définition européenne du progrès et de la « civilisation ». L’évangélisation catholique ou protestante, colonne avancée de la destruction des cultures et des croyances africaines et asiatiques contribuant ainsi à la déstabilisation des sociétés locales (cf. « Batouala » de René MARAN, « Le monde s’effondre » de Chinua ACHEBE).

 

ASIE

La Chine

Ouverture forcée aux nations occidentales : politique de la canonnière et « guerres de l’opium » (1842 et 1856). Les anglais, les français, les allemands et les américains occupent et ruinent la Chine au moyen des « Traités inégaux ». La Chine est contrainte de céder une partie de la Mandchourie à la Russie.

Pourquoi ?

Depuis le XVIe siècle et jusqu’au début des années 1830, elle occupait la première place dans l’économie manufacturière de la planète. « La Chine, écrivait Adam Smith en 1776, est un pays bien plus riche que toutes les contrées d’Europe. » 

L’impérialisme japonais : en Corée traité inégal en 1884 (sur le modèle des traités imposés à la Chine) puis annexion de 1905 à 1945.

La France en Asie

En 1885, toute l’Indochine et le Cambodge sont occupées.

 

AFRIQUE

En 1884/85, la Conférence de Berlin organise la conquête et le partage de l’Afrique selon diverses modalités de gestion des territoires :

  • Administration directe, telle la France en Algérie.
  • Protectorat français en Tunisie et au Maroc ; anglais en Malaisie et Arabie méridionale.
  • Tutelle économique et financière sur l’Empire Ottoman, occupation de la Chine.

 AVANT

Elle démarre sous la Restauration et la Monarchie de Juillet.

ALGERIE

  • En 1830, Charles X lance la conquête de la Régence d’Alger (possession turque) que mènera à son terme Louis Philippe, malgré la très forte résistance des populations jusqu’en 1871 malgré la défaite d’Abd el-Kader en 1841.

 

Avec Napoléon III, l’expansion outre-mer s’accentue pour des raisons de prestige, propager le christianisme (influence de l’impératrice), et approvisionner l’industrie en matières premières et trouver des débouchés. La IIIème République prenant le relais après 1870.
De la conquête du Sénégal par Faidherbe (1864/65) au protectorat sur la Tunisie (1881).
La France s’installe au Congo1875,1880, au Mali et au Niger (1880)
Annexion de la Nouvelle-Calédonie (1853).

 

 APRES

L’empire colonial français jusqu’en 1890 :

Son extension est liée à des initiatives individuelles : d’hommes politiques (Gambetta, Jules Ferry), des missionnaires, commerçants, officiers de l’armée ou de la marine.

Mais peu à peu la colonisation est critiquée, d’une part, par ceux qui priorisent la revanche sur l’Allemagne et voient dans la rivalité coloniale l’impossibilité d’une alliance avec l’Angleterre (affaire de Fachoda) ; d’autre part, les socialistes, avec Jean Jaurès, dénoncent une exploitation éhontée, contraire aux principes républicains, et s’inquiètent des risques d’affrontement avec l’Allemagne (coup d’Agadir au Maroc).

Charles Péguy célèbrera l’officier d’Afrique Ernest Psichari, qui fait « la paix à coups de sabre, la seule qui tienne, la seule qui dure, la seule enfin qui soit digne… »

 

 

Guy de Maupassant, article de 1881 sur l'Algérie

par Marie Pierre

 

La IIIe République va poursuivre l’extension, principalement en Afrique.

1895 : Constitution de l’Afrique Occidentale Française (AOF).
1896 : Le général Galliéni annexe Madagascar.
1910 : Constitution de l’Afrique Equatoriale Française (AEF).
1912 : Protectorat sur le Maroc.

 

Les effets des deux guerres mondiales

Après le premier conflit mondial, la Société des Nations confie à la France un mandat sur le Togo et le Cameroun (ex colonies allemande), sur la Syrie et le Liban (ex provinces ottomanes).

Effets de la Révolution d’Octobre en Russie : appel au soulèvement des peuples colonisés lancé par Lénine, au Congrès des Peuples de l’Orient (Bakou) en 1920.

La fin de la seconde guerre mondiale marque le début du processus de décolonisation.

Claude Ferrucci 

 

BIBLIOGRAPHIE 

  • Charles-Robert Ageron : Histoire de l’Algérie contemporaine (PUF).
  • Stéphane Baud & Gérard Noiriel : Races et sciences sociales. Essai sur les usages publics d’une catégorie (Agone).
  • Patrick Boucheron : Histoire mondiale de la France (Le Seuil).
  • Cornélius Castoriadis : Les Carrefours du labyrinthe, T. 3, (Le Seuil).
  • Florence Gauthier :
  • L’Aristocratie de l’épiderme. Le combat des citoyens de couleurs 1789-1791. (CNRS).
  • Périssent les colonies ! Contribution à l’histoire de l’abolition de l’esclavage (1789-1804) / (Sté des Etudes robespierristes).
  • Triomphe et mort de la Révolution des Droits de l’Homme et du Citoyen. 1789-1795-1804. (Syllepse).
  • Domenico Losurdo : Contre-Histoire du Libéralisme (La Découverte).
  • Domenico Losurdo : Le péché originel du XXe siècle (Aden).
  • Marx et Engels: Marxisme & Algérie. (10/18).
  • Gérard Noiriel* : Une Histoire populaire de la France (Agone).
  • Michelle Zancarini-Fournel : Les luttes et les rêves. Une Histoire populaire de la France (La Découverte)