Alix PAYEN   1842- 1903

Rares sont les correspondances de Communards aussi complètes que celle d’Alix Payen.
Lettres à son mari, puis lettres à sa mère lorsqu’à l’âge de vingt neuf ans elle s’engage dans le 153ème bataillon de la Garde Nationale comme ambulancière.
Elle rejoint les combats dans les tranchées de l’ouest parisien pour défendre le fort d’Issy contre les Versaillais au printemps 1871.
La plume d’Alix Payen, trempée de modestie, s’y montre aux prises entre le désir de rassurer sa mère et le feu du récit, la camaraderie et un humour noir grinçant.
Michèle Audin, romancière, a rassemblé ces documents dans un livre intitulé : «  C’est la nuit surtout que le combat devient furieux» éditions Libertalia, 2020.

Henri Payen, époux,                Alix Payen ,                 Louise Milliet sœur d’Alix

Alix, de Paris, s’adresse à son mari Henri enrôlé dans les gardes nationaux durant le siège des Prussiens

Extraits p.18- 30  de C’est la nuit surtout que le combat devient furieux Ed Libertalia 2020 [date approximative janvier 1871]

Cher Henri,

Je reçois ta lettre et suis bien heureuse de voir que tu as bien fait la route et que jusqu’ici tu vas bien. D’après les journaux je sais que tu t’es battu ou que tu vas te battre car c’est toujours de ce côté-là que tout se passe. J’espère mon chéri que tu me reviendras sain et sauf et ayant tué quelques-uns de ces gredins de Prussiens, aies bien soin de toi et donne-moi de tes nouvelles quand tu le pourras.(…)

Il a paru ce matin un décret au sujet du pain : on ne pourra en acheter que sur la présentation de sa carte de boucherie et à raison d’une livre par personne. Tu vois que c’est largement suffisant. Le pain d’aujourd’hui est lourd comme le tien et plein de grains de riz à peine écrasés. (…) mon pauvre gros qui va avoir faim ! Si tu entrevoyais la possibilité de te faire par­venir quelque chose ne manque pas l’occasion, je trouverais bien une livre ou deux d’andouille à te donner. J’ai rendu mes passe-montagnes et l’on m’en a donné d’autres.

Mon cher mignon pendant que tu as froid, faim, que tu es mouillé et fatigué, moi je quitte mon feu pour me mettre à table et ma table pour me fourrer au lit avec édredon, etc.! C’est bien injuste et je donnerais gros pour  t’envoyer quelque chose. (…)
Je t’aime mon gros troupier chéri et je t’embrasse tendrement

Ta vieille femme
Alix

(marie Christine 725)

[Sans date, peut-être 8 et 9 janvier 1871]

Cher Mignon, cher gros j’ai bien du chagrin de ne pas remettre les dix francs que tu me demandes mais il faudrait pour cela entamer le billet de 50 ; et je n’ose encore.
Je n’ai pas été payée de mes passe-montagne à cause de celui qui n’était pas fini mais on ne m’a pas donné d’autre laine, de sorte que je recevrai tout à la fois, mais ce ne sera que dans quelques jours ; de plus je venais de dépenser beaucoup.
Je t’ai acheté une douzaine de mouchoirs et un capuchon qui j’espère te fera plaisir. Je tâche mon chéri de t’envoyer quelques provisions de bouche, tu sais qu’elles sont difficiles à trouver, aussi ne t’étonneras-tu pas de leur petit volume ; cher mignon Henri je voudrais pouvoir te donner tout plein de bonnes choses.
Pour ton capuchon mes moyens ne me permettent pas de te l’offrir à pèlerine, il faudra le fixer au milieu du collet de ta capote par une grosse épingle ou mieux encore, si tu as ta trousse, le coudre. (…)

Au revoir mon gros chéri donne-moi des nouvelles et surtout qu’elles soient bonnes. À bientôt  je pense, car il y aura demain une semaine que tu es parti.
Je t’embrasse bien fort et t’aime encore plus
Ta femme et amie
Alix

 

Lettre de Louise Milliet sœur d'Alix à Paul Milliet

par Betty

Louise Milliet est la sœur d’Alix

23 janvier 1871
Voici deux nuits que nous couchons chez Alix. La nuit précédente, maman n’avait pas pu dormir à cause du bruit des obus, puis tout le monde déménage de la maison, et tous nous conseillent de partir. Nous nous sommes décidées, au grand déplaisir de papa. Enfin, puisque c’est une nécessité ! Rosalie va chercher notre maigre ration de pain.
Les affaires politiques ne marchent pas bien. Hier, nous quittions notre appartement, chargées de paquets ; nous savions que l’omnibus ne part plus que de la fontaine Saint-Michel*. Là on nous dit qu’il ne marche plus du tout ; on craint que les voitures soient renversées pour faire des barricades. Impossible de passer sur le pont Saint-Michel ; nous faisons un grand détour, mais il y avait une foule de brancardiers qui allaient et de blessés qui revenaient. Bien des gens, tombés dans la bousculade, étaient tout beurrés de boue. Le bataillon de Belleville était allé libérer Flourens emprisonné à Mazas**. Ils voulaient renverser le Gouvernement et proclamer la Commune.
On a pillé deux mille rations de pain dans les boulangeries municipales. Cela va priver bien des pauvres gens. On criait : « À bas Trochu !» Il a été obligé de donner sa démission de Gouverneur de Paris. C’est Vinoy qui a pris sa place : on ne gagne pas beaucoup au change. Le bataillon de Belleville voulait la Commune ; les mobiles bretons défendaient Trochu, et ils se sont tiré des coups de fusil. Il y a eu 20 morts et 40 blessés***. C’est vraiment triste de voir qu’on se tue entre Français.
Trochu n’a plus la confiance de personne ; il a parlé et agi de façon à épouvanter la population et à semer le découragement. L’armistice de deux jours, qu’il demandait pour enterrer les morts et enlever les blessés, lui ont été refusés.
De chez Alix nous entendons bombarder Saint-Denis. Il nous faudra peut-être déguerpir bientôt, on n’est en sûreté nulle part.
J’ai vu passer l’autre jour des prisonniers prussiens ; ils étaient tout jeunes et avaient des mines de galériens.

[Louise Milliet]

* À cause du bombardement prussien
**À la suite de la journée insurrectionnelle du 31 octobre 1870.
*** J’ignore la source et la véracité de cette information.
**** Il semble bien que les mobiles bretons aient reçu l’ordre de et commencé à tirer.

Alix Payen à Henri Lettre du 24 janvier 71

par Marie-Christine et Betty

Paris, 24 janvier 1871

Cher Henri,

Je t’écris sans courage, puisque mes lettres ne t’arrivent pas. J’ai bien envie de te voir mon gros mignon. Je suis triste comme un bonnet de nuit ; les malheureux événements qui viennent de se passer ont porté le découragement chez tout le monde. Sans doute tu as eu des journaux depuis notre échec du 19*. Cette défaite est bien triste, mais pas encore autant que ce qui en est la suite. On s’est tiré des coups de fusil dimanche à l’Hôtel de Ville, je n’entre dans aucun détail car tu dois avoir appris cela. Mais ce qui mécontente beaucoup, c’est de voir comment le gouvernement devient absolu et arbitraire.
Ainsi le remplacement de Trochu par Vinoy ne contente personne et en effet ce n’est pas là un changement puisqu’ils étaient toujours ensemble pour combiner leurs opérations. On entend dire tout haut que les généraux qui n’avaient pas de canons à Montretout ont bien su en trouver pour les braquer sur les boulevards autour de l’Hôtel de Ville, et en effet il y avait là un appareil de mitrailleuses et d’artillerie qu’on eût mieux aimé voir tourner vers les Prussiens.

Tu sais si je déteste Pyat, Flourens et leur séquelle, mais en vérité il faut rabattre de ma confiance dans le gouvernement. On dit aussi que les généraux n’ont qu’une envie : capituler. Ils ne veulent pas voir que les mobiles et les gardes nationaux sont devenus soldats ; pour eux, ils n’ont aucune confiance dans ces troupes ; du reste si tu as lu la proclamation de Vinoy, il laisse voir son peu d’espoir de nous sauver. Comment veut-il que les troupes marchent bien lorsqu’elles sont commandées par un homme qui va sans conviction, sans enthousiasme ! Aussi beaucoup de gens parient que les Prussiens seront chez nous dans 15 jours. Espérons que nous n’en sommes pas encore là. Mais je nous crois bien malades. Si Gambetta était ici, je me figure qu’il secouerait tout ce monde-là et donnerait de l’énergie aux plus mous.(…)

Ta demande de pantoufles me fait craindre que tes jambes ne soient encore enflées ; puisque l’on peut obtenir des permissions, tâche donc d’en avoir une. Je t’assure que j’ai grande, grande envie de t’embrasser !

Je suis toute pleine d’idées noires quand je pense que si Paris capitule, les gardes nationaux seront, comme à Metz, emmenés prisonniers de guerre. Aussi, cher Henri, je compte sur toi pour ne pas te rendre quand même tout ton bataillon le ferait ; défends-toi jusqu’au bout, quitte à être tué. Je te promets de mon côté que si j’en vois un de ces assassins dans Paris, je trouverai moyen de le tuer, bien sûre de l’être ensuite par eux. (…)

Je compte sur une lettre de toi ce soir. Au revoir mon chéri bien-aimé, je t’aime bien fort et grille d’envie de t’embrasser ; à bientôt, j’espère, sinon tâche d’avoir une permission d’un jour. Je t’embrasse bien tendrement.

Ta pauvre délaissée
Alix

* Il s’agit de la bataille de Buzenval.