Autoportrait en sainte Catherine d’Alexandrie, 1615-1617, National Gallery de Londres. Wikimedia Commons
Durant la préparation de notre prochaine lecture sur les femmes invisibilisées, nous avions dans un premier temps pensé à la peintre Artemisia, obligée de passer par son père pour faire ses achats de matériel de peinture, et dont certaines œuvres ont même été attribuées à son père Horazio … Mais elle était finalement trop connue y compris de son temps et elle a pu faire une réelle carrière, dans différentes cités italiennes recevant des commandes des plus hauts dignitaires… C’est pourquoi elle ne sera pas dans notre lectrure scénique « Où sont les femmes ? » cependant il nous semble opportun de vous faire connaître quelques unes de ces recherches préparatoires pour vous donner l’eau à la bouche de notre prochain spectacle et pour faire suite aux deux précédents articles qui traitent de peinture.
Les tableaux d’Artemisia Gentileschi ont longtemps été oubliés ou attribués à d’autres artistes masculins, comme son père ou même parfois Le Caravage lui-même. Mais sa vie hors du commun et son travail remarquable sont désormais largement reconnus et appréciés. Artemisia Gentileschi est aujourd’hui une source d’inspiration pour le monde des arts et de nombreux ouvrages, films et pièces de théâtre lui sont consacrés.

Autoportrait en joueuse de luth, 1614-1615, Huile sur toile, Wadsworth Atheneum Museum of Art, Crédit : Allen Phillips/Wadsworth Atheneum
Artémisia est née à Rome en 1593 et morte à Naples en 1653. Elle a connu une grande renommée de son vivant, voyageant de Rome à Florence et de Naples à Londres.
Aujourd’hui c’est principalement dans ces villes qu’on peut voir ses tableaux. Son père Horacio était un peintre reconnu et apprécié, grand ami du Caravage en compagnie duquel il eut parfois maille à partir avec les forces de l’ordre. Artémisia étudia la peinture dans l’atelier de son père et c’est là qu’il l’initia à la révolution caravagesque.
Comme chez Le Caravage les personnages peints par Artémisia, même lorsqu’ils représentent des héros mythiques ne sont pas idéalement beaux : on retrouve chez eux les traits saillants de la vie courante. Ce sont des personnages romanesques surpris en pleine action. Le tableau est comme un instantané d’une saynète dont on peut imaginer ce qui précède et ce qui va suivre. Artemisia s’inspire également de la pratique du clair-obscur inventée par Le Caravage : jeux d’ombres et de lumières qui accentuent le côté dramatique des scènes représentées.

Suzanne et les vieillards 1610, coll. Schonborn, Pommersfelden1610, Huile sur toile, 170 x 119 cm. Crédit : akg-images / MPortfolio
Sa première œuvre personnelle, Suzanne et les vieillards, est pendant longtemps attribuée à son père, comme le seront un certain nombre de ses tableaux. Déjà, on décèle le talent de la jeune femme qui n’a alors que 17 ans.
Cet épisode relate la mésaventure de Suzanne, (histoire biblique tirée du Livre de Daniel) : une jeune femme espionnée par deux hommes âgés alors qu’elle prend son bain. Vexés d’avoir été repoussés par Suzanne, les deux vieillards l’accusent d’adultère et réussissent à la faire condamner à mort. Suzanne est toutefois sauvé par Daniel, jeune prophète qui parvient à prouver son innocence.
Comme le Caravage, Artemisia est progressivement tombée dans l’oubli pendant près de deux siècles On le sait grâce au critique d’art italien Roberto Longhi à qui l’on doit la redécouverte du Caravage ; c’est lui qui a permis qu’on s’intéresse de nouveau à elle. Longui qui écrit en 1916 : « Artemisia était la seule femme en Italie qui ait su ce qu’était la peinture ».
L’examen de la vie d’Artemisia fait surgir deux figures contrastées : celle d’abord d’une toute jeune fille abusée, humiliée, trahie, torturée, telle qu’elle apparaît dans les Actes du procès pour viol, celle ensuite d’une artiste célèbre, libre, autonome, qui à travers toute son œuvre exprime vigoureusement son refus du statut de victime. Ce procès qui a duré neuf mois, est intenté par le père, Orazio, contre Agostino, son ami et collègue, pour le viol de sa fille un an plus tôt en 1611.
Artemisia Gentileschi, et Abra avec la tête d’Holopherne, vers 1607-1610, huile sur toile, 130 x 99 cm, Rome, collection Fabrizio Lemme. Wikimedia Commons
Sa peinture
Beaucoup de femmes et beaucoup d’autoportraits sont représentés dans l’œuvre d’Artémisia, ce qui s’explique probablement par la difficulté pour une femme de trouver des modèles en général et des modèles d’hommes en particulier. Mais il faut mentionner aussi le contexte historique et religieux de l’Italie à cette époque du milieu du XVIe siècle. Pour faire échec au protestantisme il a fallu réformer une église catholique devenue archaïque. Sous l’autorité du pape un concile s’est réuni dans la ville de Trente, mettant en place le cadre dogmatique et institutionnel du catholicisme tel qu’il a existé par la suite pendant quatre siècles. Il a alors été établi (contrairement aux protestants) l’importance du culte de la vierge Marie, et du culte des saints et des saintes. Or, Artemisia a manifestement fait un choix parmi toutes ces femmes : elle a pratiquement exclu de son œuvre les Saintes, ces jeunes filles chastes et obstinées invraisemblablement suppliciées.
Elle préfère manifestement les héroïnes de l’Antiquité biblique ou latine, des femmes héroïques, combattantes et victorieuses comme Judith, Yaël ou Esther ou bien des rêveuses et des mélancoliques comme Marie-madeleine et Lucrèce. On devine chez Artemisia un refus de la position de victime.
Tout au long de sa vie, elle place les femmes au centre de ses toiles et en fait non pas de simples spectatrices d’un évènement historique, mais de véritables actrices capables d’influer sur le cours des choses. En peignant des figures historiques telles que Judith, Marie-Madeleine, Cléopâtre ou Sainte Cécile, elle réalise des portraits de femmes fortes qui luttent pour leur indépendance.
Sources
Olivier Morand : Rédaction, recherches et mise en page Collections Hôtel d’Agar Avignon Exposition Caravage en Provence (2019)
Emmanuel Daydé : Pouvoir, gloire et passion : Artemisia Gentileschi, le roman d’une vie (Connaissance des arts, 19/11/2020).
Elise Philibert : Travail en cours non publié