Quand s'ouvre la porte de l'avion...

par G. Manganelli, lu par Anne L

Quand s’ouvre la porte de l’avion

La porte de l’avion – la maison volante et protectrice est dotée d’une porte – s’ouvre lentement. Dehors, à cinq-heure du matin, il fait encore nuit, les projecteurs habituels évoquent un film de gangsters ; mais l’air qui envahit la carlingue et m’enveloppe tandis que je descends la passerelle m’annonce que je suis ailleurs. Je connais cet air, je le renifle et il me renifle ; c’est l’air des tropiques, humide, doux, réchauffé par la macération des herbes, des animaux, des égouts à l’air libre, aigri par un relent d’urine, de bêtes en captivité ; c’est un air qui m’émeut, m’excite par sa décomposition et son ingénuité, sa lourdeur génératrice de champignons, de moisissures, de mousse ; voilà l’air de l’Inde, sale et vital, purulent et douceâtre, putréfié et infantile.

On peut jouer avec cet air, mourir dans cet air, quoi qu’il en soit il est envahissant, il compte les doigts de vos mains, vous touche la nuque, vous caresse comme la langue d’un animal à peine sorti des bois, plus curieux que gourmand. On a l’impression de plonger dans un marais d’air. L’Europe disparait derrière moi, (tout comme le très propre Siddharta ; et même le Vedânta expliqué par Aldous Huxley paraît un fantasme hygiénique). Je suis en Inde, au seuil d’une maladie continentale, d’un lieu dont la première bouffée d’air me parle de décomposition et d’immortalité, de lèpre et d’idoles.

Giorgio Manganelli, traduit de l’italien par Christian Paolini
L’itinéraire indien, édition Gallimard 1994
Repris dans Le goût du voyage, page 49 Mercure de France 2008

Siddharta  référence au bouddhisme
Vedânta, école de philosophie indienne