En préfiguration d’une prochaine lecture scénique intitulée « Quelle peur ? » au cours des prochaines Nuits de la lecture, du 20 au 22 janvier 2023, nous vous proposons, pour goûter aux plaisirs de la peur, un premier texte dans notre Salon à voix haute .
Durant cette lecture scénique, notre choix vous promènera au travers des peurs banales, quotidiennes, comme celles de la mort, de l’abandon, de l’exclusion, de la violence, à des frayeurs liées à des situations ou des êtres extraordinaires, la guerre, les attentats…
Mais nous n’avons pas oublié une certaine dose d’humour et de dérision, et aussi de la musique, en direct !
A très bientôt et en attendant, écoutons Marie-Christine nous lire une des nouvelles de Guy de Maupassant intitulée « la peur ».
La peur
Guy de Maupassant La Peur Nouvelle (1884) Contes Divers
On n’a peur que de ce qu’on ne comprend pas. On n’éprouve vraiment l’affreuse convulsion de l’âme, qui s’appelle l’épouvante, que lorsque se mêle à la peur un peu de la terreur superstitieuse des siècles passés. Moi j’ai ressenti cette épouvante dans toute son horreur. et cela pour une chose si simple, si bête, que j’ose à peine la dire.
Je voyageais en Bretagne, tout seul, à pied. J’avais parcouru le Finistère, les landes désolées, les terres nues où ne pousse que l’ajonc, à côté des grandes pierres sacrées, des pierres hantées.
J’avais visité la veille, la sinistre pointe du Raz, ce bout du vieux monde, où se battent éternellement deux océans : l’Atlantique et la Manche ; j’avais l’esprit plein de légendes, d’histoires lues ou racontées sur cette terre des croyances et des superstitions.
Et j’allais de Penmarch à Pont-l’Abbé, de nuit. Connaissez-vous Penmarch ? Un rivage plat, tout plat, tout bas, plus bas que la mer, semble-t-il. On la voit partout, menaçante et grise, cette mer pleine d’écueils baveux comme des bêtes furieuses.
J’avais dîné dans un cabaret de pêcheurs, et je marchais maintenant sur la route droite, entre deux landes. Il faisait très noir.
De temps en temps, une pierre druidique, pareille à un fantôme debout, semblait me regarder passer, et peu à peu entrait en moi une appréhension vague ; de quoi ? Je n’en savais rien. Il est des soirs où l’on se croit frôlé par des esprits, où l’âme frissonne sans raison, où le cœur bat sous la crainte confuse de ce quelque chose d’invisible que je regrette, moi.
Elle me semblait longue, cette route, longue et vide interminablement.
Aucun bruit que le ronflement des flots, là-bas, derrière moi, et parfois ce bruit monotone et menaçant semblait tout près, si près, que je les croyais sur mes talons, courant par la plaine avec leur front d’écume, et que j’avais envie de me sauver, de fuir à toutes jambes devant eux.
Le vent, un vent bas soufflant par rafales, faisait siffler les ajoncs autour de moi. Et, bien que j’allasse très vite, j’avais froid dans les bras et dans les jambes : un vilain froid d’angoisse.
Oh ! comme j’aurais voulu rencontrer quelqu’un, Parler à quelqu’un ! Il faisait si noir que je distinguais à peine la route, maintenant.
Et tout à coup j’entendis devant moi, très loin, un roulement.
Je pensai : « Tiens, une voiture. » Puis je n’entendis plus rien.
Au bout d’une minute, je perçus distinctement le même bruit, plus proche. Je ne voyais aucune lumière, cependant ; mais je me dis : « Ils n’ont pas de lanterne. Quoi d’étonnant dans ce pays sauvage. »
Le bruit s’arrêta encore, puis reprit. Il était trop grêle pour que ce fût une charrette ; et je n’entendais point d’ailleurs le trot du cheval, ce qui m’étonnait, car la nuit était calme.
Je cherchais : « Qu’est-ce que cela ? » Il approchait toujours ; et brusquement une crainte confuse, stupide, incompréhensible me saisit. — Qu’est-ce que cela ?
Il approchait vite, très vite ! Certes, je n’entendais rien qu’une roue – aucun battement de fers ou de pieds —, rien. Qu’était-ce que cela ? Il était tout près, tout près : je me jetai dans un fossé par un mouvement de peur instinctive, et je vis passer contre moi une brouette, qui courait…toute seule, personne ne la poussant…oui…une brouette …toute seule… Mon cœur se mit à bondir si violemment que je m’affaissai sur l’herbe et j’écoutais le roulement de la roue qui s’éloignait, qui s’en allait vers la mer. Et je n’osais plus me lever, ni marcher, ni faire un mouvement ; car si elle était revenue, si elle m’avait poursuivi, je serais mort de terreur.
Je fus longtemps à me remettre, bien longtemps. Et je fis le reste du chemin avec une telle angoisse dans l’âme que le moindre bruit me coupait l’haleine.
Est-ce bête, dites ? Mais quelle peur !
En y réfléchissant, plus tard, j’ai compris ; un enfant, nu-pieds, la menait sans doute cette brouette ; et moi, j’ai cherché la tête d’un homme à la hauteur ordinaire !
Comprenez-vous cela… quand on a déjà dans l’esprit un frisson de surnaturel… une brouette qui court… toute seule… Quelle peur.
Bonjour,
Oui, la peur de ce que l’on ne connait pas de Pierre Loti dans le Roman d’un enfant: » C’était d’un vert obscur presque noir; ça semblait instable, perfide, engloutissant. ça remuait et ça se démenait partout à la fois, avec un air de méchanceté sinistre… » ( Il évoque sa découverte de l’océan) Cela avait déclenché une chronique (publiée) sur mes peurs d’enfant!
Fillette sur le chemin de l’école: une énorme vache… avachie dans un carré de pré, attachée par une longe, vraiment inoffensive! Elle me terrorisait, mon père me poursuivait en me grondant pour qu’enfin je franchisse cet obstacle, il n’y comprenait rien : j’adorais sans aucune crainte d’elles nos vaches rousses, frisées, si vives, parfois avec leurs emportements inattendus: les Salers ! Mais voilà l’autre vache n’ était pas « du pays », seule et unique, une vache hollandaise noire et blanche…! Oubliée cette anecdote qui a resurgie dans l’écriture, pas eu la joie de l’évoquer avec mon père qui peut-être faisait semblant de ne pas comprendre , un jour j’ai dépassé ma peur et parfois la peur aide aussi à grandir..! Je partage avec vous…et tjrs merci… !