Une journée dans la vie d’Adam et Eve
Dans le chapitre « Une journée dans la vie d’Adam et Eve » de « Sapiens, une brève histoire de l’humanité », Y. N. Harari se laisse aller à imaginer la vie quotidienne de nos ancètres.
En voici quelques extraits choisis ; fermons les yeux et laissons vagabonder notre imagination…
Yuval Noah Harari, « Sapiens, une brève histoire de l’humanité »
Editions Albin Michel, 2015
Tableau : Gustav Klimt, « Adam et Eve »
Musique : Jean Goeffroy, marimbas – J.S. Bach, suite numéro 6
Vers l’épisode précédent…
« Avant la Révolution agricole, la population humaine de toute la planète était inférieure à celle du Caire aujourd’hui. »
Sapiens - Une journée dans la vie d'Adam et Eve
Les deux cents dernières années au cours desquelles des nombres toujours croissants de Sapiens ont gagné leur pain quotidien comme travailleurs urbains et employés de bureau et les dix mille années antérieures durant lesquelles les Sapiens ont vécu du travail de la terre et des troupeaux sont un clin d’œil en comparaison des dizaines de milliers d’années durant lesquelles nos ancêtres ont chassé et cueilli.[…]
L’instinct qui nous pousse à engloutir des aliments très caloriques est profondément inscrit dans nos gènes. Nous pouvons bien habiter aujourd’hui de grands immeubles équipés de réfrigérateurs pleins à craquer, notre ADN croit encore que nous sommes dans la savane. C’est ce qui nous fait engloutir un pot entier de glace Ben & Jerry’s quand nous en trouvons un au congélo et un Coca géant pour le faire descendre.[…]
Une des différences les plus flagrantes entre les anciens fourrageurs et leurs descendants agricoles et industriels est que les premiers avaient fort peu d’artefacts, et que ceux-ci jouaient un rôle relativement modeste dans leur vie. […] Ce n’est qu’au moment de déménager que nous prenons conscience de l’ampleur de ce barda. Les fourrageurs changeaient de maison tous les mois, toutes les semaines, voire chaque jour, trimbalant tous leurs biens sur leur dos. Il n’y avait pas de déménageurs, ni de chariots, ni même d’animaux de bât pour partager le fardeau. Aussi devaient-ils se contenter de l’essentiel. On peut donc raisonnablement penser que la majeure partie de leur vie mentale, religieuse et émotionnelle se passait d’artefacts.[…]
Avant la Révolution agricole, la population humaine de toute la planète était inférieure à celle du Caire aujourd’hui. La plupart des bandes de Sapiens vivaient « sur la route », cheminant d’un lieu à l’autre en quête de vivres. Leurs déplacements étaient dictés par les changements de saisons, les migrations annuelles des animaux et les cycles de croissance des plantes.[…]
Dans certains cas exceptionnels, quand les ressources alimentaires étaient particulièrement riches, les bandes établissaient des camps permanents. Les techniques pour sécher, fumer et (dans les régions arctiques) congeler la nourriture permettaient aussi de rester plus longtemps. Qui plus est, le long des côtes et des rivières riches en fruits de mer et en gibier d’eau, les hommes installèrent des villages de pêche : ce sont les premières implantations permanentes de l’histoire[…].
Dans la plupart des habitats, les bandes Sapiens se nourrissaient de façon irrégulière et opportuniste. Elles ramassaient les termites, cueillaient les baies, déterraient des racines, traquaient des lapins et chassaient bisons et mammouths. Nonobstant l’image populaire du « chasseur », la cueillette demeurait la principale activité du Sapiens et lui fournissait l’essentiel de ses calories ainsi que ses matières premières comme le silex, le bois ou le bambou.[…]
La collectivité humaine en sait aujourd’hui bien plus long que les bandes d’autrefois. Sur un plan individuel, en revanche, l’histoire n’a pas connu hommes plus avertis et plus habiles que les anciens fourrageurs.[…] Survivre en ce temps-là nécessitait chez chacun des facultés mentales exceptionnelles. L’avènement de l’agriculture et de l’industrie permit aux gens de compter sur les talents des autres pour survivre […].
Dans les sociétés d’abondance actuelles, on travaille en moyenne 40 à 45 heures par semaine ; dans le monde en voie de développement, la moyenne hebdomadaire peut aller jusqu’à 60, voire 80 heures. Les chasseurs-cueilleurs qui vivent de nos jours dans les habitats les moins hospitaliers – comme le désert du Kalahari – ne travaillent en moyenne que 35 à 45 heures par semaine. Ils ne chassent qu’un jour sur trois et ne glanent que trois à six heures par jour. En temps ordinaire, c’est suffisant pour nourrir la bande. Il est fort possible que les anciens chasseurs-cueilleurs habitant des zones plus fertiles que le Kalahari passaient encore moins de temps à se procurer vivres et matières premières. De surcroît, côté corvées domestiques, leur charge était bien plus légère : ni vaisselle à laver, ni aspirateur à passer sur les tapis, ni parquet à cirer, ni couches à changer, ni factures à régler.[…]
Dans les temps prémodernes, notamment, la population agricole trouvait l’essentiel de ses calories dans une seule culture – blé, pommes de terre ou riz – à laquelle il manque des vitamines, des minéraux ou d’autres éléments nutritifs dont les hommes ont besoin.[…] En revanche, les anciens fourrageurs consommaient régulièrement des douzaines d’autres aliments. […] De surcroît, n’étant pas à la merci d’un seul type d’aliment, ils étaient moins exposés si celui-ci venait à manquer. […] Les anciens fourrageurs souffraient aussi moins des maladies infectieuses. La plupart de celles qui ont infesté les sociétés agricoles et industrielles (variole, rougeole et tuberculose) trouvent leurs origines parmi les animaux domestiqués et n’ont été transmises à l’homme qu’après la Révolution agricole. […]
Mais on aurait tort d’idéaliser la vie de ces hommes. S’ils vivaient mieux que la plupart des habitants des sociétés agricoles et industrielles, leur monde pouvait être encore rude et impitoyable.
« Survivre en ce temps-là nécessitait chez chacun des facultés mentales exceptionnelles. L’avènement de l’agriculture et de l’industrie permit aux gens de compter sur les talents des autres pour survivre. »
Vers une dernière évocation des temps préhistoriques…