La légende du crapaud
Le crapaud qui a fait sa maison dans le saule est sorti.
Il a des mains d’homme et des yeux d’homme.
C’est un homme qui a été puni.
Il a fait sa maison dans le saule avec des feuilles et de la boue.
Son ventre est plein de chenilles et c’est un homme.
Il mange des chenilles mais c’est un homme, n’y a qu’à regarder ses mains. Il les passe sur son ventre, ses petites mains, pour se tâter :
C’est bien moi, qu’il se demande dans sa jugeote, et il pleure, quand il est bien sûr que c’est lui.
Je l’ai vu pleurer. Ses yeux sont pareils à des grains de maïs, et à mesure que ses larmes coulent, il fait de la musique avec sa bouche.
Un jour, je me suis dit : « Janet, qui sait ce qu’il a fait comme ça, pour avoir été puni, et qu’on lui a laissé seulement ses mains et ses yeux ? »
C‘est effectivement une poésie que j‘ai apprise en primaire et récitée devant toute la classe. Le texte me semble légèrement différent. Je l‘aimais beaucoup au point de l‘enregistrer sur disque 45 tours ! (Scopitone ?) en 1969-1970.
Depuis, Giono ne m’a plus quitté mais j’avais perdu les références de cette poésie jusqu’au jours où, visitant le Centre Jean Giono à Manosque, j’ai demandé à l’animateur du site où l’on pouvait trouver ce poème. De ma vie, j’ai rarement vu en France une personne se plier en quatre, en six, en huit, pour retrouver la source de ce texte car ce n’est pas une poésie mais bel et bien un texte tiré de Colline. Que Jean-Jacques ainsi que l’animateur de Manosque en soient aujourd’hui largement remerciés..
Cela faisait longtemps que je recherchais ce texte.
Alors en primaire, j’ai dû l’apprendre ( en partie sûrement), et si je m’en rappelle aujourd’hui 50 ans après, c’est que ça m’avait traumatisée. Ça et la « petite fille aux allumettes « , c’était beaucoup, mes parents s’en étaient inquiétés, et il s’avérait que ma maîtresse était dépressive.
moi j’ai envie de vous donner la suite de ce texte (Colline Pléiade T1 p.142) qui est tout aussi savoureux !
« « C’est des choses que le saule m’aurait dites si j’avais su parler comme lui. J’ai essayé. Rien à faire. Il est sourd comme un pot.
Nous deux, avec le crapaud, ça est bien allé jusqu’à la Saint Michel ; il venait au bord des herbes pour me regarder.
Je lui disais : « Oh collègue. Et alors, quoi de neuf ? » Quand j’arrosais, il me suivait.
« Une fois, c’était la nuit, je l’ai entendu venir ; il se traînait dans la boue et il faisait clou, clou, avec sa bouche pour faire venir les vers.
« Ils sont venus en dansant du ventre et du dos. N’y avait un gros comme un boudin blanc tout pomponné de poils ; un autre qui semblait un mal de doigt.
«Le crapaud a mis ses pattes sur mes pieds.
« Ses petites mains froides sur mes pieds, j’aime pas ça. Il en avait pris l’habitude, le gaillard. Chaque fois que j’arrivais, j’avais beau me méfier, y posait toujours sa petite patte froide sur mes pieds nus.
A la fin, j’en ai eu assez. Je l’ai eu juste au sortir de sa maison.
Il cloucloutait doucement. Il tenait un ver noir et il le mangeait. Il avait du sang sur les dents ; du sang plein sa bouche et ses yeux de maïs pleuraient.
«Je me dis : Janet, c’est pas de la nourriture de chrétien, ça, tu feras bonne œuvre… »
Et je l’ai partagé d’un coup de bêche.
Il fouillait la terre avec ses mains ; il mordait la terre avec ses dents rouges de sang. Il est resté là avec sa bouche pleine de terre et des larmes dans ses yeux de maïs… »
J’avais volontairement limité le texte sur le crapaud à sa partie la plus interrogative et émouvante. Il y a parfois chez Giono une « fascination », il est comme « médusé » devant la cruauté du monde, qui me gêne…
Question , j’envisage de vous le piquer pour le bulletin de mon association . Puis je ?
Le crapaud, c’est comme la parole, il faut qu’elle circule pour être vivante. Va, crapaud, cours, vole et sèche tes larmes !!
J’adore !
Beau début pour une histoire
On dirait presque la démonstration de l’individu macron .
Non , lui ne pleure pas de sa situation !!