Pour ce deuxième texte d’introduction à notre lecture du 30 septembre qui mettra Boris Vian à l’honneur, nous avons laissé la plume à Simone de Beauvoir.
Quelques jours avant notre lecture, dans le cadre des journées du patrimoine, l’inauguration d’une espalanade Boris Vian aura lieu à Gattières samedi 17 septembre.
En découvrant cette édition toute récente d’une partie de la correspondance de Boris Vian, (Des bises du Bison) nous avons souhaité vous faire connaître cette lettre de Simone de Beauvoir concernant le roman le plus connu de Boris Vian, L’écume des jours.
A l’époque celui-ci n’est pas encore publié, il le sera en 1947 chez Gallimard. Le roman ne rencontrera vraiment son public qu’après la mort de l’auteur, à la fin des années 1960, lors notamment de la réédition du texte en 10/18. Il s’imposera petit à petit comme un classique, jusqu’à son entrée dans la collection La Pléiade en 2010.
S. de Beauvoir, lettre à Boris Vian
Jeudi (mai 1946)
Mon cher Vian,
Je vous écris pour vous dire que votre roman sera seulement mardi à la N.R.F. parce que je me suis permis de le prêter à Pontalis qui grillait d’envie de le lire. A partir de mardi vous le trouverez dans le bureau des Temps modernes. Mais ceci n’est qu’un prétexte ; en vérité je vous écris pour vous dire sans attendre mon retour de Suisse combien j’ai aimé votre roman, je vous remercie de me l’avoir prêté.
Je l’aime en gros et en détail, comme dit Colin à Chloé : « Détaille, dit-elle ». Eh bien je le trouve étonnamment sensible, sensuel, poétique, cruel, tendre et vrai ; vrai surtout dans la tendresse ; et j’admire que vous ayez su avec tant de justesse éviter tous les écueils que vous choisissez de frôler. Il y a de telles ressources dans ce mode d’expression que vous avez inventé qu’on regrette presque le côté facile – et pourtant si réussi et si amusant – du livre ; ou plutôt on ne le regrette pas ; mais on pense au tout à fait grand livre que sûrement vous allez bientôt écrire. C’est remarquable le nombre de choses que vous aviez à dire sans avoir l’air d’y toucher – par exemple le dialogue avec le crucifix va plus loin à mon avis que toute la fin de l’Etranger ou le Non du Malentendu. Et peu d’histoires sont plus déchirantes que cet enterrement. Enfin j’aime ce livre. Je vous le dis bêtement parce que je ne sais pas projeter ma pensée sur surface congruement ondulée. Mais je n’en pense pas moins et j’espère que vous ne m’en voudrez pas.
Avec beaucoup d’amitié
S. de Beauvoir
Des bises du Bison Livre de poche 2021