Voici un texte court intégral de Philippe Delerm, ‘L’odeur des pommes‘.
Philippe Delerm, ‘La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules’
Editions Gallimard, collection L’Arpenteur, 1997, p.18 et 19
L'odeur des pommes
L’odeur des pommes
On entre dans la cave. Tout de suite, c’est ce qui vous prend. Les pommes sont là, disposées sur des claies – des cageots renversés. On n’y pensait pas. On n’avait aucune envie de se laisser submerger par un tel vague à l’âme. Mais rien à faire. L’odeur des pommes est une déferlante. Comment avait-on pu se passer si longtemps de cette enfance âcre et sucrée ?
Les fruits ratatinés doivent être délicieux, de cette fausse sécheresse où la saveur confite semble s’être insinuée dans chaque ride. Mais on n’a pas envie de les manger. Surtout ne pas transformer en goût identifiable ce pouvoir flottant de l’odeur. Dire que ça sent bon, que ça sent fort ? Mais non. C’est au-delà… Une odeur intérieure, l’odeur d’un meilleur soi. Il y a l’automne de l’école enfermée là. A l’encre violette on griffe le papier de pleins, de déliés. La pluie bat les carreaux, la soirée sera longue…
Mais le parfum des pommes est plus que du passé. On pense à autrefois à cause de l’ampleur et de l’intensité, d’un souvenir de cave salpêtrée, de grenier sombre. Mais c’est à vivre là, tenir là, debout. On a derrière soi les herbes hautes et la mouillure du verger. Devant, c’est comme un souffle chaud qui se donne dans l’ombre. L’odeur a pris tous les bruns, tous les rouges, avec un peu d’acide vert. L’odeur a distillé la douceur de la peau, son infime rugosité. Les lèvres sèches, on sait déjà que cette soif n’est pas à étancher. Rien ne se passerait à mordre une chair blanche. Il faudrait devenir octobre, terre battue, voussure de la cave, pluie, attente. C’est celle d’une vie plus forte, d’une lenteur qu’on ne mérite plus.
Merci pour cet article! J’apprends le français et j’ai acheté « La Première gorgée de bière; et autres plaisirs minuscules » il y a quelques jours, jusqu’ici j’aime chaque récit plus que le dernière *_*
Mais j’ai remarqué qu’il manque une ligne, juste avant la dernière phrase: « L’odeur de pommes est douloureuse. C’est celle d’une vie plus forte, d’une lenteur qu’on ne mérite plus. »
Bonne journée!
Merci pour votre remarque ! parfois des petites erreurs passent inaperçues ! Nous allons corriger cela rapidement. A bientôt sur notre site !
Nostalgie de mon enfance normande sur l’air de la confidence. Grand merci, Benoît et… Philippe Delerm.