En ce mois de mars 2021, nous consacrons bon nombre de nos publications à des écrits ou témoignages sur des femmes qui ont par leur activité, leur art, leur intelligence, leurs écrits, laissé des traces qui méritent d’être mises au jour.
« A tous ceux qui me demandent pourquoi j’écris, je réponds tout d’abord qu’aujourd’hui je n’ai plus le choix, parce que l’écriture est mon ultime rempart, elle me sauve de la déraison et c’est en cela que je peux parler de l’écriture comme d’une nécessité vitale. »
Extraits du texte « Elle est venue par cette ligne blanche » édité dans le recueil « Est-ce ainsi que les femmes vivent ? » à l’occasion du Salon du Livre de Mouans-Sartoux de 2008.
(Editions de l’aube, 2008)
Une femmes croisée par hasard. L’auteur se prend à imaginer son histoire. L’histoire de bien des femmes…
Un beau récit, assez universel, servi par un style moderne et direct, empli de poésie. Touché au coeur.
Benoit
De son vrai nom Samia Benameur, Maïssa Bey est née en 1950 à Ksar-el-Boukhari, petit village au sud d’Alger. Elle est actuellement professeur de français dans un lycée de l’Ouest algérien. Nourrie, imprégnée de culture française, elle écrit dans cette langue, dont elle déclare qu’ « il est bien plus réaliste de (la) considérer comme un acquis, un bien précieux, et peut-être même un « butin de guerre » ainsi que la définissait Kateb Yacine. ».
Maïssa Bey est un pseudonyme ; « C’est ma mère qui a pensé à ce prénom qu’elle avait déjà voulu me donner à la naissance (…) Et l’une de nos grand-mères maternelles portait le nom de Bey.(…) C’est donc par des femmes que j’ai trouvé ma nouvelle identité, ce qui me permet aujourd’hui de dire, de raconter, de donner à voir sans être immédiatement reconnue. »
« Aujourd’hui, écrire, parler, dire simplement ce que nous vivons, n’est plus une condition nécessaire et suffisante pour être menacée. (…) Combien d’hommes, de femmes et d’enfants continuent d’être massacrés dans des conditions horribles, alors qu’ils se pensaient à l’abri, n’ayant jamais songé à déclarer publiquement leur rejet de l’intégrisme ? Il est certain qu’en écrivant, en rompant le silence, en essayant de braver la terreur érigée en système, je me place au premier rang dans la catégorie des personnes à éliminer. Pour moi, pour toute ma famille, j’essaie de préserver mon anonymat, du moins dans la ville où j’habite. »
La première fois que tu m’es apparue. C’était sur une plage de la Méditerranée. Il y a longtemps. Si longtemps… et je n’ai pas oublié.
Tu es apparue au déclin du jour. Au moment où le soleil hésite encore sur les rives laquées de sang avant de se résigner et céder la place à la silencieuse coulée noire qui vient tout recouvrir.
Un bord de mer pas tout à fait désert, encore vibrant de lumière.
Et dans cette lumière suffisante pour voir et être vu, tu avançais, droite, seule, le visage offert, le corps offert. […]
C’est une femme âgée, très âgée, qui, au déclin du jour, nue ou presque, marche sur une plage. Revêtue simplement d’un maillot noir enroulé très bas sur les hanches.
Nue ou presque.
Chaque jour, à la même heure.
Le même parcours.
Le même regard.
Voilà, c’est dit. Maintenant je peux t’inventer ; je pourrais même te donner un nom.
Tu vois, c’est avec mes mots que tu vas prendre vie, naître, grandir, avoir une histoire. En somme, exister. Je veux simplement parler de toi, te donner chair, plus vive que tu ne l’as été de ta vie. Tant pis si cela n’a rien à voir avec toi, avec ce que tu as été. De toutes les façons, tu ne le sauras jamais, j’en suis sûre. […] Ce sont mes mots à moi, ma langue à moi, qui vont tisser la trame de ta vie, imaginée ou re-créée. […]
Ton enfance d’abord. A peine, ça et là, des trouées de lumière. Des portes ouvertes qui se sont très vite refermées. Des jeux, des courses dans les champs, des rires. Des petits riens qui, mis bout à bout, suffisent à la joie et sans doute à fabriquer des souvenirs heureux. Peu de choses en vérité, très peu, mais c’est peut-être cela qui t’a aidée à accepter de grandir.
Tu ne posais pas de questions. Qui, mais qui t’aurait écoutée ?
Le temps venu, on t’a mariée. Tu as tout simplement changé de maison.
Tu étais maintenant l’épouse d’un fils. Au service d’une famille que tu devais considérer comme la tienne.
C’était un inconnu, bien sûr. Au bout d’un jour de fête, un seul, une nouvelle vie. La découverte de l’autre. Du corps de l’autre. Avec la peur. Les silences. Et enfin l’habitude. Les habitudes.
Servir. Se taire. Attendre. Faire semblant de vivre. Avec, de temps à autre cependant, des absences. Ou du moins des instants d’hébétude qui inquiétaient ceux qui ne comprenaient pas, ceux qui ne savaient pas.
Les grossesses rapprochées. Ce corps qui ne t’appartenait plus. Mais t’a-t-il un jour appartenu ? Tu es devenue une mère. Une mère soucieuse de jouer son rôle. Tout ce que l’on attendait de toi. Rien de plus.
Peu à peu, l’engourdissement, l’enlisement, les renoncements. A quoi ? Tu ne savais même pas.
Et puis, à l’autre bout de la vie, la solitude. Exténuante. Jusqu’au jour où tout a basculé.
C’est arrivé un matin, au réveil. C’était là, au creux du ventre, comme un battement, une envie impérieuse, oppressante, sur laquelle, d’abord, tu n’as pas su mettre de mots, dont tu n’as pas su cerner les contours.
Tu t’es assise sur ton lit, et tu as tenté péniblement de démêler l’écheveau. Tu étais encore dans cet instant intermédiaire nécessaire pour commencer la traversée du jour.
Ce matin-là, tu as ouvert la grande valise. Celle où étaient rangés les vêtements que tu ne mets plus depuis longtemps. […]
Il était plus de midi quand tu es sortie. Sur le pas de la porte, tu as fermé les yeux à cause de la clarté, trop intense. Mais le soleil ne pouvait pas t’empêcher de rentrer dans cette histoire.
D’un pas ferme, tu as traversé la route. Tu as longtemps attendu l’autobus, mais le temps n’était pas compté.
En arrivant sur la plage, tu as cherché des yeux, longtemps, une place au soleil.
Tu t’es installée.
Le sable était chaud.
Tu as écouté les rires, les éclats de voix. Tu as surpris des baisers. Des mains qui se cherchaient. Des corps enlacés.
Les nœuds un à un se déliaient.
Au moment où la lumière à bout de force commence à se retirer, sur la pointe des pieds, tu t’es levée. […]
Et tu t’es mise à marcher.
Cette écriture nous fait participer à un « REllEvement »
Merci