Voici un texte nostalgique de Philippe Delerm qui réveillera peut-être des velléités endormies : ‘J’ai fait 5 ans de piano‘.
Et si le temps suspendu de ce confinement qui persiste était l’occasion de s’y remettre ?
Philippe Delerm, ‘Je vais passer pour un vieux con et autres phrases qui en disent long’
Editions du Seuil, 2012, p.57 et 58
J'ai fait 5 ans de piano
J’ai fait 5 ans de piano
Ah, la mélancolie des pianos silencieux ! […]
« J’ai fait 5 ans de piano. » La formule est presque toujours résignée. « J’ai essayé de m’y remettre, mais c’est difficile. La souplesse des doigts… Et puis, jouer pour qui ? »
C’est vrai, s’il s’agit de dérouler les délicatesses effleurées mais jamais maîtrisées de La lettre à Elise… Un peu plus d’autosatisfaction à retrouver ce prélude de Bach, toujours le même, ou le mouvement lent de La Sonate au clair de lune […] Derrière ce petit arsenal de morceaux classiques à effet se lève une mélancolie rétive – l’idée qu’on n’a pas pu susciter la mélancolie.
J’ai fait 5 ans de piano. Oh, on ne rêvait pas d‘être un artiste ! Il aurait fallu bien davantage de temps, une rigueur presque effrayante. Cinq ans de piano, c’est 5 années de cours plutôt désagréables, parce qu’on n’avait pas assez travaillé dans la semaine. « Tu as fait ton piano ? » Une petite phrase qui rappelle que les parents paient pour ça. Rappelle surtout qu’ils espèrent voir naître quelque chose, peut-être le dimanche après-midi, quand les invités touillent leur café dans un demi-silence horripilant d’ostentation. […] « J’ai fait 5 ans de piano. »
Comme si dormaient dans ces sept mots tous les secrets des émotions qu’on n’a pas su atteindre, ou provoquer. Comme si un pouvoir s’était douloureusement refermé, la clé perdue d’une porte inconnue. J’ai essayé un peu, mais les jours sont étroits.