En écho au thème des Nuits de la Lecture 2025 et à notre dernière création « A Table ! », je vous propose ici quelques extraits de textes alléchants. Bonne dégustation !
Benoit
La gastronomie a depuis toujours fait couler beaucoup d’encre ; les écrits de Montaigne, Rabelais… font partie de notre patrimoine culturel.
Voici une « Chanson à manger » écrite par un certain Paul Scarron vers 1650 et adaptée au français du jour.
Chanson à manger
Le Roman comique, 1651-1657
Paul SCARRON
Quand j’ai bien faim et que je mange
Et que j’ai bien de quoi choisir,
Je ressens autant de plaisir
Qu’à gratter ce qui me démange.
Cher ami tu m’y fis songer :
Chacun fait des chansons à boire,
Et moi, qui n’ai plus rien de bon que la mâchoire
Je n’en veux faire qu’à manger.
Quand on se gorge d’un potage
Succulent comme un consommé,
Si notre corps en est charmé,
Notre âme l’est bien davantage.
Aussi Satan, le faux glouton,
Pour tenter la femme première,
N’alla pas lui montrer du vin ou de la bière,
Mais de quoi branler le menton.
Quatre fois l’homme de courage
En un jour peut manger son saoul;
Le trop-boire peut faire un fou
De la personne la plus sage.
A-t-on vidé mille tonneaux ?
On a bu que la même chose;
Au lieu qu’en un repas on peut doubler la dose
De mille différents morceaux.
Quel plaisir, lorsqu’avec furie
Après la bisque et le rôti,
Un entremet bien assorti
Vient réveiller la mangerie !
Quand tu mords dans un bon melon,
Trouves-tu liqueur qui le vaille ?
0 mon très cher ami, je suis la mangeaille;
Il n’est rien de tel qu’un glouton.
« Banquets »
Chateau Calmont d’Olt (12500 Espalion)
Plus proche de notre époque, voici deux poèmes d’auteurs célèbres que l’école primaire fait découvrir à nos enfants.
Le Goûter
Femme, 1946 – Maurice CARÊME
On a dressé la table rondeSous la fraîcheur du cerisier.Le miel fait les tartines blondes,Un peu de ciel pleut dans le thé.
On oublie de chasser les guêpes
Tant on a le cœur généreux.
Les petits pains ont l’air de cèpes
Egarés sur la nappe bleue.
Dans l’or fondant des primevères,
Le vent joue avec un chevreau;
Et le jour passe sous les saules,
Grave et lent comme une fermière
Qui porterait, sur son épaule,
Sa cruche pleine de lumière.
Réponse à une invitation
À dîner chez M. Garnier, architecte de l’Opéra
1872 – Théophile GAUTIER
Que ce soit poule ou caneton,
Perdrix aux choux ou miroton,
Pâté de veau froid ou de thon,
Nids d’hirondelles de Canton,
Ou gousse d’ail sur croûton,
Faisan ou hachis de mouton,
Pain bis, brioche ou panaton,
Argenteuil ou Brame-Mouton,
Cidre ou pale-ale de Burton,
Chez Lucullus ou chez Caton,
Je m’emplirai jusqu’au menton,
Avalant tout comme un glouton,
Sans laisser un seul rogaton.
« La gourmandise commence quand on n’a plus faim.»
Alphonse Daudet
Pour prolonger le plaisir de la recette du dorayaki évoquée dans notre lecture scénique « A Table !« , voici un autre extrait de ce savouraux roman « Délices de Tokyo » écrit par Durian Sukegawa et adapté au cinéma en 2015 par Naomi Kawase.
Il s’agit ici d’un échange de courriers entre le tenancier d’une échoppe de dorayakis et une femmes âgée devenue son « maitre » en la matière.

Chère madame Yoshii,
Comment allez-vous ? Le froid s’est installé, mais j’espère que vous vous portez bien et que vous n’avez pas attrapé un nouveau rhume depuis notre dernière rencontre.
De mon côté, je poursuis mes efforts.
À vrai dire, je me suis inspiré de ce que vous m’aviez dit et j’ai immédiatement fait des essais. Oui, des dorayaki au sel !
Pour commencer, j’ai essayé de saler davantage la pâte de haricots, mais cela s’est soldé par un échec. Il est clair que la quantité de sel que vous utilisez habituellement est la meilleure dose. Quel talent ! Bref, la pâte de haricots reste la même.
Alors, comment justifier ce nom de dorayaki au sel ? C’est simpliste, mais j’ai tenté de saler les pancakes. Cela a donné des dorayaki assez intéressants. Si on les mange encore tièdes, ils dégagent une saveur nouvelle qui vous fait penser « oh, c’est peut-être ça ! ». Mais, au bout d’un moment, le sel commence à se faire encombrant. Comment dire, ce qui devait n’être qu’un accent ressort trop. Bien entendu, afin d’éviter cela, je n’utilise qu’une infime quantité de sel, mais alors, s’il y en a trop peu, la surprise de la première bouchée disparaît.
Donc, l’idée de saler la pâte n’a pas été concluante non plus. Qu’il s’agisse de la pâte de haricots ou des pancakes, les saler directement n’est sans doute pas la bonne méthode. Si l’algue au sel se marie bien à la soupe sucrée zenzai, c’est parce qu’elle vient la relever, je crois. […] Vu la situation actuelle de [ma boutique], je n’ai guère le loisir d’y réfléchir, mais peut-être trouverai-je en m’appliquant, comme vous me l’avez appris, à être « à l’écoute », je ne perds pas espoir. […]
Chaque jour, je tends l’oreille, je suis « à l’écoute ». Mais je n’entends encore rien, voilà où j’en suis. […] Pardonnez-moi. Cette fois, je n’ai pas arrêté de me plaindre. Mais il m’a semblé inutile de faire semblant avec vous, alors j’ai couché sur le papier mes vrais sentiments. Je n’abandonne pas. Puissent les paroles des dieux de la pâtisserie sonner à mes oreilles aussi !
Sentarô Tsujii

Cher monsieur Tsujii,
Permettez-moi de négliger les formules d’usage.
Mes remarques inconsidérées semblent vous avoir perturbé. J’en suis désolée.
En effet, l’utilisation du sel est délicate. Il n’y a guère de problème avec les plats salés, mais, dans un mets sucré, la règle de base est que le sel ne doit jamais prendre le dessus. On peut mettre un soupçon de sel, pas plus. Dans ce cas, comme vous l’avez souligné, le sel sert sans doute d’accent. C’est effectivement la nature du lien entre le zenzai et l’algue au sel.
Mais je crois que vous avez mis le doigt sur quelque chose d’important. Je dirais même que c’est la clé. La soupe de haricots sucrée et l’algue au sel non plus, pour commencer, n’avaient certainement rien à voir l’une avec l’autre. Quelqu’un les a réunies dans un mets qui plaît à ceux qui ont la dent sucrée comme à ceux qui préfèrent le salé.
Le dorayaki est en soi une pâtisserie japonaise aboutie, mais, si on prend exemple sur le zenzai, il est peut-être possible de trouver un ingrédient qui le rende original. Je vais y réfléchir moi aussi. Vous avez beau tendre l’oreille, peut-être n’entendez-vous encore rien, mais je vous en prie, ne baissez pas les bras, persévérez.
Quels que soient nos rêves, un jour, on trouve forcément ce qu’on cherchait grâce à la voix qui nous guide, j’en suis convaincue […]
Portez-vous bien.
Tokue Yoshii

« Si vous n’êtes pas capables d’un peu de sorcellerie, ce n’est pas la peine de vous mêler de cuisine. »
Colette
Avant de vous libérer (pour déguster un met délicieux, cela va de soi), voici un autre extrait d’un ouvrage qui fait partie de notre lecture scénique « A Table !« .
Petites faims – 2009 – Marc Solal
Chapitre 15
Le serveur avait posé devant Guillaume un grand bol fumant de soupe Pho.
On lui avait dit le plus grand bien de ce restaurant vietnamien situé à Montmartre. Il était tenu par un réfugié des boat people. À côté du bol étaient disposés, dans un ravier, des germes de soja, des herbes aromatiques, du citron et une petite coupelle de piments frais rouge vif. Après avoir jeté le soja, les herbes et trois rondelles de piment dans le bouillon, Guillaume avait pressé le citron sur le tout. Il porta la première cuillerée à sa bouche. La soupe était particulièrement riche en goût. Les lamelles de viande étaient rosées et moelleuses. Les nouilles plates et blanches étaient juste al dente et d’une délicieuse fadeur. Guillaume savourait avec plaisir chacune de ses bouchées, convaincu que, même au Viêtnam, il devait être rare de manger aussi bien. Il croqua dans un morceau de piment et ressentit aussitôt le feu envahir sa bouche. Mais, au lieu de se jeter sur un verre d’eau, d’essayer de se soustraire à la douleur, il ne fit rien pour tenter de calmer la brûlure qui attaquait son palais. Il visualisait le piment comme une flamme qui fouillait ses muqueuses, qui tentait de pénétrer sa gorge. Il imaginait mille flammèches rouges à pointe jaune, vivantes, cherchant une issue. Il laissa faire sans offrir la moindre résistance. Ne trouvant pas d’adversaire, le piquant finit par s’éteindre de lui-même.
Pour vérifier, Guillaume croqua dans un autre piment. Il n’avait plus peur. Le feu fut moins violent la seconde fois. Il quitta le restaurant avec la même fierté que s’il venait de marcher sur un tapis de braises.
Maintenant que vous en avez l’eau a la bouche, je ne peux que vous inviter à assister à la mise en bouche animée par les Mots à la Bouche et Embarquement Poétique lors des Nuits de la Lecture 2025 sur Nice le 24 janvier.
D’ici là, il vous reste le temps de ripailler car il n’y a pas de mal à se faire du bien!
Bon appétit !
Benoit
Bonjour!
Quelle cruauté mentale d’être si loin de vous…géographiquement !
Ce panier de textes choisis : une gourmandise !
Merci et belles journées et nuit en lecture !