Bientôt une prochaine lecture scénique nous permettra de rendre hommage aux femmes iraniennes et à leurs combats. Commençons par Delphine Minoui et un extrait de sa lettre posthume à son grand-père « Je vous écris de Téhéran ».

Sous la forme d’une lettre posthume à son grand-père, entremêlée de récits plus proches du reportage, Delphine Minoui raconte ses années iraniennes, de 1997 à 2009. Au fil de cette missive où passé et présent s’entrechoquent, la journaliste franco-iranienne porte un regard neuf et subtil sur son pays d’origine, à la fois rêvé et redouté, tiraillé entre ouverture et repli sur lui-même. Avec elle, on s’infiltre dans les soirées interdites de Téhéran, on pénètre dans l’intimité des mollahs et des miliciens bassidjis, on plonge dans le labyrinthe des services de sécurité, on suit les espoirs et les déceptions du peuple, aux côtés de sa grand-mère Mamani, son amie Niloufar ou la jeune étudiante Sepideh. La société iranienne dans laquelle se fond l’histoire personnelle de la reporter n’a jamais été décrite avec tant de beauté et d’émotion.

4eme de couverture

Je vous écris de Téhéran

par Delphine Minoui, lu par Anne B.

, des glaces à l’eau de rose, une piscine gonflable pour patauger, et les mélopées du persan en fond sonore.(…)

J’ai quitté ton pays sans me retourner. Comment dire adieu à une moitié retrouvée de soi-même ? En ce début d’été 2009 la capitale iranienne pleurait ses martyrs et les cachots débordaient. Le temps d’une élection en trompe-l’œil nous étions passés du vert espoir au rouge sang. Le rêve d’un changement s’était brisé contre le mur de la répression. Moi je signais à contre-cœur la fin d’un long reportage dont tu détenais le secret. De retour à Paris je n’ai rien pu écrire. Les mots se disputaient ma page. Entre vécu et ressenti. Journaliste j’étais redevenue citoyenne. J’avais perdu la distance nécessaire pour raconter. Alors j’ai posé ma plume. Longtemps, bien longtemps avant de me remémorer ces vers de Hafez qu’un jour tu m’offris en cadeau :

Celui qui s’attache à l’obscurité a peur de la vague,
Le tourbillon de l’eau l’effraie
Et s’il veut partager notre voyage
Il doit s’aventurer bien au-delà du sable rassurant du rivage.
C’était à Paris un matin de novembre 1997. Je ne le savais pas encore mais de ce poème j’allais faire ma profession de foi.(…)

Lors de tes rares passages en France, tu avais cette manie de t’exprimer en poèmes que tu omettais de traduire. Toi qui avais représenté l’Iran à l’UNESCO à la fin des années 50 tu connaissais Hafez sur le bout des doigts. Tu disais que l’illustre poète du 14e siècle avait réponse à tout, que ses écrits valaient mieux que n’importe quelle boule de cristal. Qu’il suffisait d’en piocher un au hasard pour entrevoir son avenir proche. Il y avait quelque chose de magique à t’écouter réciter ce que je percevais comme du charabia.(…)
Et puis un jour tu avais manifesté le désir inattendu de m’initier à ta langue natale.(…) De droite à gauche ton stylo s’était mis à danser, en habillant les consonnes de minuscules accents colorés. A chaque ligne une petite traduction française talonnait ta calligraphie. Ce poème, mon premier cours de persan. Un de tes derniers soupirs.

 

De mère française et de père iranien, Delphine Minoui est lauréate du prix Albert Londres 2006 pour ses reportages en Iran et en Irak. Elle est grand-reporter, correspondante du Figaro au Moyen-Orient. Après Téhéran et Beyrouth, elle vit aujourd’hui au Caire. Elle est également l’auteur des Pintades à Téhéran (Jacob Duvernet), de Moi, Nojoud, dix ans, divorcée (Michel Lafon), et de Tripoliwood (Grasset).

 

Hafez, icône de la poésie persane

Hafez, de son nom littéraire Chams ad-Din Mohammad Hafez-e Chirazi, est un poète, philosophe et un mystique persan né vers 1325 à Chiraz et mort à l’âge de 64 ans, probablement en 1389 ou 1390. Il serait le fils d’un certain Baha-ud-Din.
Le Divân de Hafez est le nom commun donné à l’œuvre de Hafez, signifiant recueil de poèmes, car elle n’a pas de titre.