Nous allons bientôt rendre hommage aux femmes iraniennes et à leurs combats pour la liberté … FEMMES, VIE, LIBERTE !
Chahdortt Djavann est née en Iran en 1967 et vit depuis 1993 à Paris ou elle étudie la pschylologie sociale et l’anthropologie. Elle est romanciére, essayiste et consultante internationale, de langue et de nationalité francaise
Le père de Chahdortt Djavann, grand féodal d’Azerbaïdjan iranien fut emprisonné et tous ses biens confisqués . Il élève sa fille dans l’amour des livres et la détestation des mollahs. Elle est arrêtée à 13 ans, incarcérée ,violée pour avoir manifesté contre le régime. Elle arrive en France en 1993 et apprend le français , 7° langue qu’elle pratique.. Elle fait des petits boulots et commence des études de psychologie sociale et en anthropologie.
En 1998 elle débute sa thèse et écrit son premier roman : je viens d’ailleurs. Elle rédige un pamphlet sur le voile islamique: Bas les voiles publié par Gallimard en 2003. En 2004 deuxième roman : autoportrait de l‘autre, puis un pamphlet : Que pense Allah de l’Europe.
Je ne suis pas celle que je suis est publié en 2011 chez Flammarion. Bien que l’autrice utilise certaines de ses expériences, elle précise « je ne crois pas à l’autobiographie…je suis mon personnage et je ne le suis pas … »
Je ne suis pas celle que je suis
ISPAHAN
A Ispahan , après une journée de visite et des heures de marche à pied, elles étaient toutes les trois crevées…Assises à même le sol, sous le pont Cajou, elles enlevèrent leurs chaussures et leurs chaussettes et se mirent à fredonner une chanson populaire sur Ispahan. Au magnifique coucher de soleil, quatre gardiens surgirent d’un coup. En un clin d’oeil le plaisir et le rire se transformèrent en cauchemar.
- Levez-vous ! Vous vous croyez où ? vous vous mettez à chanter en massant vos pieds nus devant tout le monde ? (…)
Il n’y a aucune raison pour nous arrêter, à moins qu’avoir des ampoules aux pieds soit interdit aux femmes ? S’insurgea Donya (…) Elles furent embarquées dans le 4×4 et conduites au comité…Ils les firent entrer dans des cellules différentes.
Debout dans une cellule étroite, sans fenêtre et sans lumière. Donya attendait, Son angoisse atteignit un tel paroxysme qu’elle arrivait à peine à respirer (…) Elle sentit une chaleur humide entre ses cuisses, (…) non elle n’avait pas ses règles. Le passé et le présent s’entremêlèrent.
ONZE ANS PLUS TÔT, JUIN 1980, TEHERAN
Dès que Khomeiny était arrivé en Iran, en Février 1979, beaucoup de jeunes et d’adolescents s’étaient engagés très rapidement pour ou contre lui. (…) A treize ans , elle était une vraie tête brulée (…)
Tous les matins , elle distribuait les tracts et un matin, elle fut arrêtée (…) Elle ne protesta pas ni ne résista. Un sourire dédaigneux au coin des lèvres, tête haute, elle monta dignement à l’arrière de la voiture, dans laquelle il y avait déjà deux filles aux yeux bandées.
On la jeta hors de la voiture, la traina sur quelques mètres, on lui fit dégringoler des escaliers. Une porte métallique se referma sur elle.
Une odeur écœurante remplit ses narines ! Mélange d’urine, de sang, de sueur et d’excréments (…)
Elle enleva son bandeau : aucune fenêtre. Elle se retrouvait avec deux filles , gravement amochées (…) Elle se recroquevilla dans un coin, hostile. Répulsion irrépressible. Peut-être à cause de l’odeur !
Le premier jour la porte ouvrit deux fois : chaque fois elle sursauta, pensant qu’on venait la chercher pour l’interrogatoire ; on fit sortir les deux filles et elles ne revinrent pas. Elle se retrouva seule, cogna à la porte, personne ne répondit. Après quelques heures, elle entendit des pas et frappa à nouveau à la porte, en criant qu’elle avait besoin d’aller aux toilettes : « Tu es déjà dans une chiotte. Vous êtes toutes de vraies merdes. »
Pendant les années d’épuration, les prisons étaient bondées. Les sous-sols de nombreux immeubles réquisitionnés avaient été transformés en prisons temporaires. Cette nuit-là on ne lui donna pas à manger ni à boire. Le lendemain matin, elle ouvrait à peine les yeux lorsqu’on vint la chercher pour l’interrogatoire…
Deux hommes entrèrent.
- C’est quoi ton nom ?
- Pas de réponse
- On t’a posé une question dit l’autre
- Pas de réponse,
- Je ne le répéterai pas une troisième fois, c’est quoi ton nom ?
- Le sang lui monta à la tête, elle allait leur dire ce qu’elle pensait d’eux, mais ce fut un cri étouffé qui sortit de sa bouche. Une volée de coups de pied lui coupa le souffle. Les coups de l’un des deux étaient plus forts à cause de ses grosses chaussures lourdes.. Ils s’arrêtèrent, elle eu le temps de ressentir la brulure, la douleur..
- Maintenant tu vas nous dire ton nom de pute et le nom de tous ceux qui te donnent des tracts…
- L’idée de mourir dans le sous-sol la terrorisa au point qu’elle cria :
- Tuez-moi , tuez-moi !
- Tu veux mourir ! On va voir çà
- Un seul coup . La foudre. Un choc si violent que la voix, les larmes, les battements de cœur, la respiration tout fut interrompu en elle. La bouche pleine de sang , elle balança quelques noms. On l’abandonna dans la pièce. Elle perdit connaissance…
ISPAHAN 1991
Ce soir là, dans sa cellule, le temps se rembobina et ce qui s’était passé onze ans plus tôt en juin 1980 se déroula en quelques secondes sous ses yeux comme dans un rêve…
Elle glissa la main dans sa culotte, elle n’avait pas ses règles puis elle prit son visage à deux mains pour le soutenir. La porte s’ouvrit. Elle se dit que peu importait ce qui allait lui arriver, elle resterait digne, sans larmes, sans supplications ; cette fois elle saurait endurer… Cette deuxième expérience en cellule n’eut rien de commun avec la précédente. Il n’y eut aucune douleur physique, pas de sang , aucune crainte d’être mise à mort, il n’y eut que de l’humiliation.
A part une gifle, elle ne reçut aucun coup sur le visage. Son corps, son sexe, qui lui avait rappelé , onze ans plus tôt, avec ses premières règles dans le sous-sol, qu’elle était une fille, lui rappelèrent encore ce jour là, mais d’une autre manière qu’elle n’était qu’une fille. Elle resta tellement digne, qu’elle ne protesta même pas.
Le viol des filles ou des garçons est quasiment une routine. Un de ses cousins…avant d’être enfermé dans un hôpital psychiatrique avait été incarcéré pendant cinq ans. Lui aussi avait été un révolutionnaire. Il racontait qu’en prison , les tortionnaires enculaient tout le monde et que certains d’entre eux empalaient les condamnés à mort…
De cette soirée dans une cellule d’Ispahan, il ne lui resta en mémoire que trois choses : Une odeur répugnante de cigarette, de sueur, et de sperme
Le sexe très gros du premier qui lui irrita le vagin
Le sexe d’un autre qui était petit et mou.On la fit sortir de cellule, entrer dans les toilettes. (…)
– « Arrange ta gueule de pute »
Elle s’aspergea d’eau froide, garda quelques minutes entre les paumes de ses mains son visage intacte, à la fois soulagée et honteuse de ce soulagement.
Elles furent libérées ce soir-là, après avoir signé un document ou elles s’engageaient à respecter désormais les règlements et à se comporter d’une façon décente. Le cousin d’une de ses copines était le chef d’un des comités d’Ispahan. Oui, il y a des collabos dans toutes les familles.
Serait-il cynique de dire : heureusement.
Nicolas de Stael , le bateau
La douleur de comprendre l’absurdité du despotisme et le sentiment d’être si impuissant devant ces absurdités visant à gommer l’existence des femmes.
Surprise par cette énumération de ses réjouissances ou de ses plaisirs : » je suis riche comme un homme. »
C’est invraisemblable, cette seule fierté qui est remise en avant !