Nous n’allions pas manquer cette rencontre avec une poétesse américaine quasiment inconnue en France, peu traduite et pour le moins… prix Nobel inattendue.
Alors voici pour vous, la « figure essentielle dans le paysage de la poésie américaine contemporaine » avec une « poésie, qui ici est faite pour nous laisser dans le plus discret mais le plus inapaisable des suspens«
Paysage Aborigène
Paysage aborigène, (c) Thierry Gillyboeuf & C. A. H pour la traduction
PAYSAGE ABORIGÈNE
Tu marches sur ton père, me dit ma mère,
et de fait, je me trouvais exactement au centre
d’un tapis d’herbe, si bien tondue que cela aurait pu être
la tombe de mon père, bien qu’aucune stèle ne vienne le confirmer.
Tu marches sur ton père, répéta-t-elle,
plus fort cette fois, ce qui commençait d’être étrange pour moi,
car c’était elle qui était sourde ; même le médecin l’avait admis.
Je fis un petit pas sur le côté, à l’endroit
où s’arrêtait mon père et commençait ma mère.
Le cimetière était silencieux. Le vent soufflait dans les arbres ; je pouvais entendre, très faiblement, à quelques rangées de là, des bruits de larmes,
et plus loin, un chien gémissait.
Ces bruits finirent par s’estomper. Il me traversa l’esprit
que je n’avais pas le souvenir d’avoir été amenée ici,
à ce qui ressemblait désormais à un cimetière, bien que cela puisse n’être un cimetière que dans ma tête ; c’était peut-être un parc, ou bien, si ce n’était pas un parc,
un jardin ou une tonnelle, exhalant, réalisai-je à présent, l’arôme des roses – la douceur de vivre remplissant l’air, la douceur de vivre, comme on dit.
À un moment, je me suis aperçue que j’étais seule.
Où étaient partis les autres,
mes cousins et ma sœur, Caitlin et Abigail
À présent, la lumière déclinait. Où était la voiture
qui attendait de nous ramener chez nous ?
Je commençai alors à chercher une solution. Je sentais
l’impatience me gagner, confinant, je dirais, à l’angoisse.
Finalement, au loin, j’aperçus un petit train,
à l’arrêt, semblait-il, derrière le feuillage, le conducteur
appuyé, oisif, contre le chambranle d’une porte, fumant une cigarette.
Ne m’oubliez pas, criai-je, courant à présent
à travers tous ces carrés d’herbe, tous ces pères et ces mères…
Ne m’oubliez pas, criai-je, quand j’arrivai près de lui.
Madame, me dit-il, en montrant les rails, vous voyez bien que c’est la fin, que les rails ne vont pas plus loin.
Ses paroles étaient dures, mais ses yeux étaient bons :
cela m’encouragea à défendre mon cas bec et ongles.
Mais ils vont dans l’autre sens, dis-je, et je remarquai
qu’ils étaient solides, comme s’ils avaient beaucoup de retour derrière eux.
Vous savez, dit-il, notre travail est difficile : nous sommes confrontés
à tant de chagrin et de désillusion.
Il me regarda avec de plus en plus de franchise.
J’étais comme vous autrefois, ajouta-t-il, j’aimais l’agitation.
Désormais, je parlais à un vieil ami :
Et toi, dis-je, car il était libre de partir,
tu ne souhaites pas rentrer chez toi,
revoir la ville ?
C’est chez moi, dit-il.
La ville – la ville c’est là où je disparais.
Avec ce texte d’une sensibilité inouïe, qui frôle notre vérité profonde, comment ne pas penser à la phrase de Max Jacob : « La poésie est un rêve inventé » ? Et Marie-Pierre le lit d’une manière si touchante… L’étonnement blessé, la fragilité de l’Inconscient passent par sa voix, elle a vraiment l’âme au bord des lèvres
Ce beau texte me hante, Marie-Pierre. Merci pour ta merveilleuse interprétation!
Merci Marie Pierre pour cette découverte.
texte magnifique.
merci de nous avoir fait découvrir cette poétesse que je ne connaissais pas.
Étrange et merveilleuse balade semblable à une quête de soi dans un jardin aux essences d’une roseraie, apaisante où retrouver ses nostalgies et ses racines.