Je me souviens, dans ces années 70,  qu’on échangeait beaucoup sur l’arrivée au pouvoir du Président Allende au Chili, qu’on parlait de Révolution, et que Nixon en avait été profondément contrarié…  Lors d’une balade annuelle à  la « Fête du Château », où les livres tenaient une grande place, un auteur, Pablo Neruda, et la belle couleur du document, un parme attirant, m’avait interpellée.

Donc par curiosité « J’avoue que j’ai vécu »  a été le premier ouvrage que de  lui j’ai lu, car il racontait, mettait en scène son parcours, de Consul dans beaucoup de pays, Argentine, France, Portugal, Sri Lanka, Birmanie, Espagne… de poète, d’écrivain et de citoyen Chilien Engagé !..Si vous aimez les voyages, les aventures, les amours, alors gargarisez-vous avec ses Mots…

Maud

 

      Les Mémoires du mémorialiste ne sont pas les Mémoires du poète. Le premier a peut-être moins vécu, mais il a davantage photographié et il nous recrée par la précision du détail. Le second nous offre une galerie de fantômes secoués par le feu et l’ombre de leur époque. Peut-être n’ai-je pas vécu dans mon propre corps ; peut-être ai-je vécu la vie des autres. De tout ce que j’ai écrit dans ces pages se détacheront toujours comme des forêts à l’automne et comme à l’époque des vendanges… les feuilles jaunes qui vont mourir et le raisin qui revivra dans le vin sacré.  Ma vie est une vie faite de toutes les vies : les vies du poète.

P.71  LES MOTS

     … Tout ce que vous voudrez, oui, monsieur, mais ce sont les mots qui chantent, les mots qui montent et qui descendent… Je me prosterne devant eux… Je les aime, je m’y colle, je les traque, je les mords,  je les dilapide… J’aime tant les mots… les mots inattendus… Ceux que gloutonnement on attend, on guette, jusqu’à ce qu’ils tombent soudain… termes aimés… Ils billent comme des pierres de couleurs, ils sautent comme des poissons de platine, ils sont écume, fil, métal, rosée… Il est des mots que je poursuis… Ils sont si beaux que je veux les mettre tous dans mon poème… Je les attrape au vol, quand ils bourdonnent, et je les retiens, je les nettoie, je les décortique, je me prépare devant l’assiette, je les sens cristallins, vibrants, éburnéens, végétaux, huileux, comme des fruits, comme des algues, comme des agates, comme des olives… Et alors je les retourne, je les agite, je les bois, je les avale, je les triture, je les mets sur leur trente et un, je les libère…

      Je les laisse comme des stalactites dans mon poème, comme des bouts de bois poli, comme du charbon, comme des épaves de naufrage, des présents de la vague… Tout est dans le mot… Une idée entière se modifie parce qu’un mot a changé de place ou parce qu’un autre mot s’est assis comme un petit roi dans une phrase qui ne l’attendait pas et lui a obéi… Ils ont l’ombre, la transparence, le poids, les plumes, le poil, ils ont tout ce qui s’est ajouté à eux à force de rouler dans la rivière, de changer de patrie, d’être des racines… Ils sont à la fois très anciens et très nouveaux…Ils vivent dans le cercueil caché et dans la fleur à peine née… Oh ! Qu’elle est belle, ma langue, oh ! Qu’il est beau, ce langage que nous avons hérité des conquistadors à l’œil torve…Ils avançaient à grandes enjambées dans les terribles cordillères, dans les Amériques mal léchées, cherchant des pommes de terre, des saucisses, des haricots, du tabac noir, de l’or, du maïs, des œufs sur le plat, avec cet appétit vorace qu’on n’a plus  jamais revu sur cette terre… Ils avalaient tout, ces religions, ces pyramides, ces tribus, ces idolâtries pareilles   à celles à celles qu’ils apportaient dans leurs fontes immenses… Là où ils passaient ils laissaient la terre dévastée

     Mais il tombait des bottes de ces barbares, de leur barbe, de leurs heaumes, de leurs fers, comme des cailloux, les mots lumineux qui n’ont jamais cessé ici de scintiller… la langue. Nous avons perdu …Nous avons gagné… Ils emportèrent l’or et nous laissèrent l’or…Ils emportèrent tout et nous laissèrent tout… Ils nous laissèrent les MOTS !