Alix PAYEN 1842- 1903
Rares sont les correspondances de Communards aussi complètes que celle d’Alix Payen.
Lettres à son mari, puis lettres à sa mère lorsqu’à l’âge de vingt neuf ans elle s’engage dans le 153ème bataillon de la Garde Nationale comme ambulancière.
Elle rejoint les combats dans les tranchées de l’ouest parisien pour défendre le fort d’Issy contre les Versaillais au printemps 1871.
La plume d’Alix Payen, trempée de modestie, s’y montre aux prises entre le désir de rassurer sa mère et le feu du récit, la camaraderie et un humour noir grinçant.
Michèle Audin, romancière, a rassemblé ces documents dans un livre intitulé : « C’est la nuit surtout que le combat devient furieux» éditions Libertalia, 2020.
Henri Payen, époux, Alix Payen , Louise Milliet sœur d’Alix
Alix Payen à sa mère
Mardi 18 Avril Alix Payen Lettre à sa mère.
J’ai passé toute la journée du lundi dans le cimetière et j’ai fait un peu connaissance avec mes nouveaux camarades.
Les hommes sont très convenables et même très aimables pour moi. Je mange avec eux. Je les aide à éplucher les légumes pour la popotte. J’en suis récompensée par le plaisir que j’ai à les entendre causer, il y a tant d’esprit naturel, des réparties si drôles chez ces ouvriers parisiens ; ils m’ont vite prise en amitié et rient et plaisantent devant moi ; une chose m’étonne ; c’est la convenance parfaite de leur conversation quand je suis là. Si l’un d’eux laisse échapper un juron, il est vertement repris par son voisin.
Il y a eu une très drôle lutte de générosité à mon sujet entre deux hommes. Comme la pluie ne cesse guère, chacun m’offrait un abri dans le tombeau qu’il s’était choisi pour logement, et c’était à qui ferait le mieux valoir son immeuble. Le mien, disait Chanoine, a des verres de couleurs ! Le mien, ripostait l’autre, a une marche où l’on peut s’asseoir. Va donc ! reprenait dédaigneusement Chanoine, avec ton misérable caveau pour cinq ans ; moi, c’est une concession à perpétuité ! Cette raison décisive a clos la question.
C’est impayable de voir ces caveaux à plusieurs étages remplis de soldats qui ronflent, chacun sur son étagère. On écrase le café sur le marbre des tombes ; on cueille du pissenlit, et l’on s’en régale sans se soucier de l’engrais qui l’a produit…
Mais il faut que je te raconte la nuit dernière. J’ai reçu le baptême du feu. Le combat a été terrible et me voilà aguerrie du premier coup. C’est comme lorsqu’au bain froid on se jette franchement à l’eau au lieu d’entrer petit à petit…
Les Versaillais sortent doucement des bois et s’approchent de nous, lorsqu’ils sont à environ 300 mètres on ordonne de tirer. Ah ! chère mère, quelle pétarade ! Jamais comme tu penses je n’avais entendu rien de pareil. Quel vacarme ! Quel chaos, tu ne peux t’en faire idée, sifflement et explosion des obus, coups de fusil, balles cassant le marbre des tombes ou s’aplatissant sur le mur, tout cela faisait tapage infernal, qui pourtant n’empêchait pas d’entendre distinctement les commandements des officiers. La pluie avait cessé, le temps était clair, les obus en passant ou les feux de peloton éclairaient d’une manière étrange ces croix, ces pyramides de marbre blanc et ces sombres arbres de cimetière.
Subitement et de part et d’autre cet infernal vacarme cessa et le silence semblait plus profond après ces horribles détonations.
Tout à coup, au milieu de ce calme, un rossignol s’est mis à chanter…