Joël Vernet

Nous avons un jour découvert Joël Vernet et il est devenu, pour certain(e)s d’entre nous, un auteur familier dans nos lectures. Nous avions déjà publié un article de ce poète en juillet 2021 : un extrait de «La nuit errante»(Ed. Lettres vives 2003).

Écrivain, poète, Joël Vernet est né en 1954 en Haute-Loire et vit les vingt premières années de sa vie en Margeride, dans une ferme et une maison de village.
Dans les années 70, après des études à l’Université de Lyon, il entreprend ses premiers voyages en Afrique, Asie et l’Europe, dans le désert saharien, le Mali, à Gao. C’est dans ces années qu’il abordera l’écriture… Il commence à publier ses premiers livres en 1988 chez Lettres Vives et Fata Morgana. D’autres voyages, Québec et Montréal, deux années de vie à Alep…
Quelques 65 publications plus tard, certaines réalisées avec des photographes, des dessinateurs. Joël Vernet est méconnu du grand public, même si des grands noms de la littérature et des critiques, le placent comme une des voix importantes de la poésie française contemporaine.

En 2019 Martine Landrot écrit un long article à propos de la sortie de Carnet du long chemin aux éditions La rumeur libre. (Article publié dans le Télérama du 23 octobre 2019)
Extrait : L’abondance des recueils publiés chez divers éditeurs de qualité confirme que l’intérêt pour la poésie de cet homme discret n’a jamais cessé de vibrer. Mais, en lui et autour de lui, le silence a toujours primé, source de recueillement et d’angoisse, d’ambivalence pleinement restituée dans Carnet du lent chemin : « Je me suis tenu là , tout au long des années, avec des mots, de simples mots, je n’ai rien cédé à l’époque. Chaque jour j’ai payé cher de m’être rendu invisible » J.Vernet 13 janvier 1994
Alain Roussel, poète et écrivain lui-même, écrit en 2018 à propos de l’un de ses ouvrages : Lire Joël Vernet, c’est entrer dans une complicité. Il a l’art de faire de nous son confident. Cela tient sans doute à cette façon qu’il a, dans presque tous ses livres, d’écrire comme on écrit des lettres, à nous, à sa mère, à lui-même, à l’enfance, à « la vie nue », à la lumière, au silence, à l’Afrique, à la moindre chose sur laquelle son regard se pose, à l’univers entier.  (à propos de La vie buissonnière, Fata Morgana 2012)
Les extraits qui suivent, tirés de Rumeur du silence, furent lus, l’un à la soirée Scène ouverte du 23 juin à Nice et l’autre lors de l’anniversaire de nos Dix ans de lecture en 2019.
Introduction par l’auteur : « La lumière est le plus grand des peintres quand elle illumine les choses les plus pauvres. Depuis des années, je suis le servant de cette lumière-là, qui n’a rien de divin. Dans la solitude où je vis, elle m’offre le silence, sans oublier la folle rumeur de l’Histoire que nous connaissons tous. Brûlé par ce feu lorsque j’écris, je ne sais plus où je suis, où je vais. S’invente alors la magie des souvenirs, qui ne sont plus les miens. Le regard a toute sa place dans cette aventure. »

Anne L.

Joël Vernet

Rumeur du silence
Ed Fata Morgana, 2012

Page 32

Toute ma vie, je suis allé marcher sur les chemins, parlant seul avec le silence qui est un grand bavard. Au soir, rentrant à la maison, je ramène des sacs de brindilles, des poignées de lumière, des bribes récoltées dans la nature où l’on vit toujours –si l’on sait ouvrir les yeux–, une belle aventure : c’est l’envol d’un papillon, l’éclat d’un bleuet, l’acrobatie d’un rouge-gorge, le chant rauque d’une abeille, la tuile qui se détache d’une cabane, la scierie à l’abandon au fond des bois. Mon labeur fut donc très simple : revenir chez moi avec ces compagnons et leur demander de poursuivre ce merveilleux ouvrage sur la page. C’est le labeur de l’insouciance, d’un authentique travail d’artisan : écouter simplement ce chœur qui ne cessera jamais sa clameur. C’est ainsi que j’écris, sans écrire vraiment, en laissant ouvertes toutes les portes, en moissonnant des pans entiers de ciel.

 

 

Joël VERNET

Rumeur du silence
éditions FATA MORGANA 2012
Pages 23, 24 et 25

Chaque matin, je reçois le bonjour d’un lézard sur le seuil de la maison dont les portes restent ouvertes sur le jardin. A leur guise, vent et soleil entrent et sortent. Il en est ainsi de la lumière, de mes pensées.

Le lézard me regarde dans les yeux quelques secondes puis regarde le ciel où le bleu est si pur. Son corps est souple comme un nuage. Il détend ses pattes minuscules afin de laisser glisser les heures sous son ventre. Il connaît par cœur la leçon du jour et sait ainsi que l’attente est vertu. Sa peau regorge de soleil. Rien ne le dérange plus sauf une pauvre fourmi qui veut grimper sur son flanc droit. En vain.

Le lézard est le premier poème écrit sur la pierre du matin. Sous l’ombre qu’il dessine sans bouger, je lis les rigueurs de l’hiver dernier où mon cœur était empli de neige, de mauvais souvenirs

 Qui la visitait s’inclinait devant elle, sans mot dire. Elle n’avait d’attention que pour le simple. Elle récupérait toujours les miettes sur la table qu’elle offrait aux oiseaux. Pour dépenser le moins, ne pas gaspiller ses maigres forces, elle n’allumait la lampe qu’à la nuit tombée. Lorsque j’étais plus jeune, nous nous tassions devant le poêle. Elle me lisait des contes, me racontait des histoires, murmurait dans le noir à voix si basse qu’il me semblait parler avec un ange. Je l’avoue, c’est cette simplicité, cet amour démesuré pour la vie ordinaire qui m’éclaire encore aujourd’hui. Je ne connais pas de plus grande chose que cette lumière sans gloire, celle des humbles, des invisibles.

 Foulant l’herbe fraiche, je vois la rosée sur les fleurs et mon cœur se met à battre à la vue de ces petits diamants qui scintilleront durant une heure ou deux, le temps que s’ouvrent les pétales sous mon œil médusé.

Je m’éveille une seconde fois, ressentant la chaleur du soleil sur ma peau tandis que le lézard virevolte sous la pierre sous laquelle je cache souvent la clef quand m’appellent un départ, un voyage ou une course brève. Comment être là où l’on est, attentif à ce qui passe sous nos yeux ?

La pierre, j’en suis sûr, sait si bien converser avec le lézard et la clef. Le silence de mon cœur voudrait tant dire la beauté de ce monde, prendre la clef sous la pierre et ouvrir toutes les portes. La nuit revient si vite et mes pensées sont demeurées si pauvres.