A Paris, le Centre Pompidou présente cet automne une grande exposition sur le mouvement Surréaliste. En région PACA, deux expositions temporaires sont consacrées à l’artiste espagnol Joan Miro. A Hyères, le Musée de la Banque présente dans son unique salle intimiste 74 toiles et sculptures conservées pour la plupart par la Fondation Maeght de Saint Paul de Vence. Et la « salle des coffres » de cette ancienne banque vaut bien le déplacement ! A Nice, le Musée Matisse tente un parallèle entre les deux artistes. J’y ai promené mes yeux et mon appareil photo. J’ai découvert une osmose subtile entre poésie et peinture chez Miro et médité sur ce que l’artiste dit de son travail.

Il ne s’agit pas ici de discourir sur l’Art, non, juste de regarder les mots, de lire les images, directement des yeux au cœur, à l’imagination, à l’émotion…

Benoit

« La peinture doit être fertile. 

Elle doit donner naissance à un monde.

Elle doit fertiliser l’imagination. »

Joan Miro

Ce que Miro dit de son travail :

« Quand je me tiens devant une toile, je ne sais jamais ce que je vais faire, et je suis le premier surpris par ce qui sort. »

 « Je pense à mon atelier comme à un potager où les choses suivent leur cours naturel. Ils grandissent, ils mûrissent. Vous devez greffer. Vous devez arroser. »

« L’art peut mourir, une peinture peut disparaître. Ce qui compte c’est la graine. »

« Un brin d’herbe a plus d’importance qu’un grand arbre, un petit caillou qu’une montagne, une petite libellule a autant d’importance qu’un aigle. »

 « Je pars de quelque chose considéré comme morte et parviens à un monde. Et quand je mets un titre dessus, elle devient encore plus vivante. »

 

« Pour moi, un objet est quelque chose de vivant. Cette cigarette ou cette boite d’allumettes contient une vie secrète bien plus intense que celle de certains êtres humains. »

« Je fouille la cuisine en cherchant des objets humbles et d’un objet quelconque, je fais un tableau. Pour rendre une émotion communicative à ces choses, il faut les aimer énormément. »

« La même démarche me fait chercher le bruit dans le silence, le mouvement dans l’immobilité, la vie dans l’inanimé, l’infini dans le fini, des formes dans le vide et moi-même dans l’anonymat. »

 

« Ce que je cherche… est un mouvement immobile, équivalent à ce qu’on appelle l’éloquence du silence. »

 

« Un simple trait peint au pinceau peut mener à la liberté et au bonheur. »

 

« Gagner en liberté, c’est gagner en simplicité. »

« Pour moi, un tableau doit émettre des étincelles. Il faut éblouir comme la beauté d’une femme ou d’un poème. » 

« Ma tendance à la nudité et à la simplification a été pratiquée dans trois domaines : le modelage, les couleurs et la figuration des personnages. »

« Je voulais détruire jusqu’aux racines tout un art caduque, la vieille conception de la peinture, pour que renaisse une autre peinture, plus pure, plus authentique. Il s’agissait d’un ‘crime’ positif. »

Joan Miro

Miro et la poésie :

« J’essaie d’appliquer des couleurs comme des mots qui façonnent des poèmes, comme des notes qui façonnent de la musique. »

« La peinture remonte des coups de pinceau comme un poème naît des mots. Le sens vient plus tard. »

« Que mon œuvre soit comme un poème mis en musique par un peintre. »

Joan Miro illustre « A toute épreuve » de Paul Eluard

(extraits)

L’univers-solitude

Les fruits du jour couvés par la terre
Une femme une seule ne dort pas
Les fenêtres sont couchées.

Une femme chaque nuit
Voyage en grand secret.

Villages de la lassitude
Où les filles ont les bras nus
Comme des jets d’eau
La jeunesse grandit en elles
Et rit sur la pointe des pieds.

Villages de la lassitude
Où tous les êtres sont pariels.

Pour voir les yeux où l’on s’enferme
Et les rires où l’on prend place. […]

Fantôme de ta nudité
Fantôme enfant de ta simplicité
Dompteur puéril sommeil charnel
De libertés imaginaires.

Plume d’eau claire pluie fragile
Fraîcheur voilée de caresses
De regards et de paroles
Amour qui voile ce que j’aime.

A ce souffle à ce soleil d’hier
Qui joint tes lèvres
Cette caresse toute fraîche
Pour courir les mers légères de ta pudeur
Pour en façonner dans l’ombre
Les miroirs de jasmin
Le problème du calme. […]

Confections

I

La simplicité même écrire
Pour aujourd’hui la main est là.

 

II

Il est extrêmement touchant
De ne pas savoir s’exprimer
D’être trop évidemment responsable
Des erreurs d’un inconnu
Qui parle une langue étrangère
D’être au jour et dans les yeux fermés
D’un autre qui ne croit qu’a son existence.

Les merveilles des ténèbres à gagner
D’être invisibles mais libératrices
Tout entières dans chaque tête
Folles de solitude
Au déclin de la force et de la forme humaine
Et tout est dans la tête
Aussi bien la force mortelle que la forme humaine
Et tout ce qui sépare un homme de lui-même
La solitude de tous les êtres. […]

 XXIV

 II ne faut pas voir la réalité telle que je suis. […]

Amoureuses

Elles ont les épaules hautes
Et l’air malin
Ou bien des mines qui déroutent
La confiance est dans la poitrine
A la hauteur où l’aube de leurs seins se lève
Pour dévêtir la nuit

Des yeux à casser les cailloux
Des sourires sans y penser
Pour chaque rêve
Des rafales de cris de neige
Des lacs de nudité
Et des ombres déracinées.

Il faut les croire sur baiser
Et sur parole et sur regard
Et ne baiser que leurs baisers

Je ne montre que ton visage
Les grands orages de ta gorge
Tout ce que je connais et tout ce que j’ignore
Mon amour ton amour ton amour ton amour.

Paul Eluard

Album 19 :

Un recueil de 19 lithographies + 7 pour la préface de Raymond Queneau

(extraits)

Je ne sais s’il y a une différence entre décorer un mur ou parfaire des lithos, après tout le mot λιθος (lithos en grec) c’est pierre, « Je ne bastis que pierres vives, ce sont hommes », comme dit Rabelais sur son seuil, et ces pierres forment des murailles. Avec 19 pierres peut-on construire un mur ? On répondra : pourquoi pas. Oui. Et tout ça, quel rapport avec la peinture chevalet ? Pas tellement différent ? Ou essentiellement différent ? Voyons voir. Il y a la question de la perpendicularité. Le mur aussi (sauf en quelques villes d’Italie : Pise, Bologne, etc. du tourisme…)
Il y a aussi la possibilité de tourner autour. On ne tourne pas autour d’un tableau. Autour d’un mur non plus, sauf si c’est un petit mur. Un objet, on tourne autour. Un petit mur de lithos, on tourne autour ; les éléments eux-mêmes peuvent se mettre à plat, obliques, debout. À plat : c’est ainsi que les peintres montrent leurs dessins, en les jetant sur le sol, comme si l’horizontalité était une marque distinctive de cette espèce plastique. La litho présente tant de latitudes dans ce sens. Ce n’est plus alors un mur, mais une marelle, les cases desquelles des êtres utilisent, sautant à cloche-pied ou les jambes écartées. Ni fixés comme les papillons, ailes étendues, ni limités à deux dimensions comme les fameuses souris japonaises qui ne peuvent sortir de leur plateau et en franchir le rebord, ils sautent donc haut, et viennent, à cloche-pied ou les jambes écartées.

Raymond Queneau

« Que mes toiles rappellent les toiles de Matisse, mais plus brutales. Qu’elles rappellent beaucoup l’art populaire en intensité et en puissance. »

« Je faisais exactement ce que disait Matisse, et de façon plus profonde que les surréalistes : se laisser guider par la main. »

Joan Miro

« Miro… Oui, Miro… Il peut bien représenter n’importe quoi sur sa toile… mais si, en un certain point, il a placé une tache rouge, vous pouvez être assuré que c’était là, pas ailleurs, qu’elle devait être… »

Henri Matisse

Pour

Ses pinceaux de plumes,

Ses tubes de crayon,

Ses couleurs d’Angers,

Ses toiles émérites,

Ses encres de cygne,

                             Nous l’adMIROns.

Raymond Queneau

Paru dans « Le Patriote Côte d’Azur », n° 572 du 26/09/2024