Écrit en 1794, ce texte est tiré de « Le gout du voyage » pages 94,95,96.
Le petit Mercure, Edition Mercure de France, 2008
Un texte proposé par AnneL
Juste avant le début du confinement- mais bien sûr nous savions celui qui était instauré en Italie- je cherchais des récits de voyage.
Je suis tombée en feuilletant un petit bouquin acheté quelques semaines auparavant au MUCEM (ah, l’expo Giono ! ) sur ce texte de Xavier de Maistre, (écrivain, peintre savoisien, général au service du tsar Alexandre 1° de Russie), extrait de Voyage autour de ma chambre récit autobiographique en 42 courts chapitres.
Agé de 27 ans, il fut mis aux arrêts pendant 42 jours, enfermé dans sa chambre dans la citadelle de Turin, pour une affaire de duel.
Ce livre, inspira de nombreux auteurs tels Alphonse Karr (Voyage autour de mon jardin) ou encore Maurice Rheims (Nouveau voyage autour de ma chambre).
Ma chambre est située sous le quarante-cinquième degré de latitude, selon les mesures du père Beccaria : sa direction est du levant au couchant ; elle forme un carré long qui a trente-six pas de tour, en rasant la muraille de bien près. Mon voyage en contiendra cependant davantage ; car je traverserai souvent en long et en large, ou bien diagonalement, sans suivre de règle ni de méthode. Je ferai même des zigzags, et je parcourrai toutes les lignes possibles en géométrie, si le besoin l’exige. Je n’aime pas les gens qui sont si fort les maîtres de leurs pas et de leurs idées, qui disent : « Aujourd’hui je ferai trois visites, j’écrirai quatre lettres, je finirai cet ouvrage que j’ai commencé ».
Mon âme est tellement ouverte à toutes sortes d’idées, de goûts et de sentiments ; elle reçoit si avidement tout ce qui se présente …
Et pourquoi refuserait-elle les jouissances qui sont éparses sur le chemin si difficile de la vie ? Elles sont si rares, si clairsemées, qu’il faudrait être fou pour ne pas s’arrêter, se détourner même de son chemin pour cueillir toutes celles qui sont à notre portée. Il n’en est pas de plus attrayante, selon moi, que de suivre ses idées à la piste, comme le chasseur poursuit le gibier, sans affecter de tenir aucune route. Aussi, lorsque je voyage dans ma chambre, je parcours rarement une ligne droite : je vais de ma table vers un tableau qui est placé dans un coin ; de là je pars obliquement pour aller à la porte ; mais, quoique en partant mon intention soit bien de m’y rendre, si je rencontre mon fauteuil en chemin, je ne fais pas de façons, et je m’y arrange tout de suite.
— C’est un excellent meuble qu’un fauteuil ; il est surtout de la dernière utilité pour tout homme méditatif. Dans les longues soirées d’hiver, il est quelquefois doux et toujours prudent de s’y étendre mollement, loin du fracas des assemblées nombreuses—
Un bon feu, des livres, des plumes, que de ressources contre l’ennui ! Et quel plaisir encore d’oublier ses livres et ses plumes pour tisonner son feu, en se livrant à quelque douce méditation, ou en arrangeant quelques rimes pour égayer ses amis ! Les heures glissent alors sur vous, et tombent en silence dans l’éternité, sans vous faire sentir leur triste passage.
En attendant les voyages, ce très joli voyage. Belle découverte