Un texte de Jean Giono, proposé par Jean-Jacques et qui fait partie de notre lecture scénique « Le Monde en feu »

 

On trouvera dans ce livre cet article contre la guerre publié en novembre 1934 à la revue Europe, plus quatre chapitres inédits du Grand Troupeau. Bien souvent des amis m’ont demandé de publier ces textes réunis . Je n’en voyais pas l’utilité.
Maintenant j’en vois une : je veux donner à ces pages la valeur d’un refus d’obéissance.

Autour de nous, trop d’anciens pacifistes ont obéi, obéissent , suivent peu à peu les grands remous, tout claquants d’étendards  et de fumées, marchent dans les chemins qui conduisent aux armées et aux batailles.
Je refuse de les suivre : même si mes amis politiques s’inquiètent dans cet acte d’un individualisme suspect.

Je trouve que personne ne respecte plus l’homme. De tous les côtés on ne parle plus que de dicter, d’obliger, de forcer, de faire servir. On dit encore cette vieille dégoûtante baliverne : la génération  présente doit se sacrifier pour la génération future. On le dit même de notre côté, ce qui est grave. Si encore nous savions que c’est vrai ! Mais, par expérience, nous savons que ça n’est jamais vrai. La génération future a toujours des goûts, des besoins, des désirs, des buts imprévisibles pour la génération présente. On se moque des diseurs de bonne aventure. Il faut sinon se moquer, en tout cas se méfier des bâtisseurs d’avenir. Surtout quand pour bâtir l’avenir des hommes à naître, ils ont besoin de faire mourir les hommes vivants. L’homme n’est la matière première que de sa propre vie. Je refuse d’obéir.» []

«Je ne peux pas oublier la guerre. Je le voudrais. Je passe des fois deux jours ou trois sans y penser et brusquement, je la revois, je la sens, je l’entends, je la subis encore. Et j’ai peur. Ce soir est la fin d’un beau jour de juillet. La plaine sous moi est devenue toute rousse. On va couper les blés. L’air, le ciel, la terre sont immobiles et calmes. Vingt ans ont passé. Et depuis vingt ans, malgré la vie, les douleurs et les bonheurs, je ne me suis pas lavé de la guerre. L’horreur de ces quatre ans est toujours en moi. Je porte la marque. Tous les survivants portent la marque. []

   Croyez-vous que l’état capitaliste va s’arracher le cœur de bon gré ?
La guerre est le cœur de l’état capitaliste. La guerre irrigue de sang frais toutes les industries de l’état capitaliste. La guerre fait monter aux joues de l’état capitaliste les belles couleurs et le duvet de pêche . Vous croyez que, de son bon gré, l’état capitaliste va s’arracher le cœur parce que vous êtes touchant, bel imbécile, marchant dans la ligne de tirailleur avec votre fusil pareil à un bâton ?
Il n’y a qu’un seul remède : notre force.
Il n’y a qu’un seul moyen de l’utiliser : notre révolte.
Puisqu’on n’a pas entendu notre voix.
Puisqu’on ne nous a jamais répondu  quand nous avons gémi .
Puisqu’on s’est détourné  de nous quand nous avons montré le
s plaies de nos mains, de nos pieds et de nos fronts.
Puisque, sans pitié, on apporte de nouveau la couronne d’épines et que déjà , voilà préparés les clous et le marteau.

La terre fait paisiblement le pain. La brume de l’été est sortie des champs de blé et elle bouche tous les horizons. Dans ce lent mouvement quelle a pour s’élargir sur tout le pays et pour monter dans le ciel, elle découvre la palpitation de petites poussières  brillantes : ce sont les balles légères des grains prématurément  mûris et qui se sont envolés. Le lourd soir d’étapporte ses ombres.

« Refus dobéissance » in Ecrits pacifistes, 1937.

(Folio Gallimard).