Le 31 juillet 1914 était assassiné Jean Jaurès alors qu’il déjeunait avec ses amis dans un restaurant. Cela fait aujourd’hui 110 ans et déjà à l’époque s’élevaient des discours pacifistes contre l’imminence d’une guerre mondiale pressentie par certains, dont Jaurès.

Pour nous, Mots à la bouche, cela fait remonter le souvenir de grands moments d’une lecture scénique mémorable que nous avions intitulée « C’est le monde en feu !  » empruntant ces mots à Jaurès ; cette création s’est jouée durant les quatre ans de la commémoration de la « grande guerre », devant des publics très variés : de 9 à 99 ans dans des versions différentes selon les lieux et les âges !

 Notre lecture scénique débutait par des extraits du discours de Jaurès prononcé à Lyon quelques jours avant son assassinat que nous vous proposons de découvrir ci-dessous.

Jean Jaurès      Lyon-Vaise, le 25 juillet 1914
(Dernier discours) Extraits

Jaurès prononce son dernier discours dans un quartier populaire de Lyon, le 25 juillet. Il sera assassiné 6 jours plus tard le 31 juillet.

Citoyens,

Je veux vous dire ce soir que jamais nous n’avons été, que jamais depuis quarante ans l’Europe n’a été dans une situation plus menaçante et plus tragique que celle où nous sommes à l’heure où j’ai la responsabilité de vous adresser la parole. Ah! citoyens, je ne veux pas forcer les couleurs sombres du tableau, je ne veux pas dire que la rupture diplomatique dont nous avons eu la nouvelle il y a une demie heure, entre l’Autriche et la Serbie, signifie nécessairement qu’une guerre entre l’Autriche et la Serbie va éclater et je ne dis pas que si la guerre éclate entre la Serbie et l’Autriche le conflit s’étendra nécessairement au reste de l’Europe, mais je dis que nous avons contre nous, contre la paix, contre la vie des hommes à l’heure actuelle, des chances terribles et contre lesquelles il faudra que les prolétaires de l’Europe tentent les efforts de solidarité suprême qu’ils pourront tenter. (…)

Eh bien ! citoyens, nous avons notre part de responsabilité, mais elle ne cache pas la responsabilité des autres et nous avons le droit et le devoir de dénoncer, d’une part, la sournoiserie et la brutalité de la diplomatie allemande, et, d’autre part, la duplicité de la diplomatie russe. (…)

La politique coloniale de la France, la politique sournoise de la Russie et la volonté brutale de l’Autriche ont contribué à créer l’état de choses horrible où nous sommes. L’Europe se débat comme dans un cauchemar.

Eh bien! citoyens, dans l’obscurité qui nous environne, dans l’incertitude profonde où nous sommes de ce que sera demain, je ne veux prononcer aucune parole téméraire, j’espère encore malgré tout qu’en raison même de l’énormité du désastre dont nous sommes menacés, à la dernière minute, les gouvernements se ressaisiront et que nous n’aurons pas à frémir d’horreur à la pensée du cataclysme qu’entraînerait aujourd’hui pour les hommes une guerre européenne.  (…)

Songez à ce que serait le désastre pour l’Europe: ce ne serait plus, comme dans les Balkans, une armée de trois cent mille hommes, mais quatre, cinq et six armées de deux millions d’hommes. Quel massacre, quelles ruines, quelle barbarie! Et voilà pourquoi, quand la nuée de l’orage est déjà sur nous, voilà pourquoi je veux espérer encore que le crime ne sera pas consommé. Citoyens, si la tempête éclatait, tous, nous socialistes, nous aurons le souci de nous sauver le plus tôt possible du crime que les dirigeants auront commis et en attendant, s’il nous reste quelque chose, s’il nous reste quelques heures, nous redoublerons d’efforts pour prévenir la catastrophe. (…)

Quoi qu’il en soit, citoyens, et je dis ces choses avec une sorte de désespoir, il n’y a plus, au moment où nous sommes menacés de meurtre et, de sauvagerie, qu’une chance pour le maintien de la paix et le salut de la civilisation, c’est que le prolétariat rassemble toutes ses forces qui comptent un grand nombre de frères, Français, Anglais, Allemands, Italiens, Russes et que nous demandions à ces milliers d’hommes de s’unir pour que le battement unanime de leurs cœurs écarte l’horrible cauchemar.

J’aurais honte de moi-même, citoyens, s’il y avait parmi vous un seul qui puisse croire que je cherche à tourner au profit d’une victoire électorale, si précieuse qu’elle puisse être, le drame des événements. Mais j’ai le droit de vous dire que c’est notre devoir à nous, à vous tous, de ne pas négliger une seule occasion de montrer que vous êtes avec ce parti socialiste international qui représente à cette heure, sous l’orage, la seule promesse d’une possibilité de paix ou d’un rétablissement de la paix.

Nous avions alors découvert ce court et poignant récit de Félix Chabaud « Pour l’exemple » dont nous vous donnons ci-dessous
un extrait évoquant le rôle
des femmes dans la guerre.

Félix CHABAUD   POUR L’EXEMPLE  un village de haute Provence brisé par la guerre
Editions Parole 2014

Angèle, épouse de Olivier C.

J’aime pas quand les hommes se mettent à aboyer comme les chiens avant la battue. On dirait que la paix les tenait en laisse. L’odeur du fusil les rend orgueilleux. C’est à celui qui gueule le plus fort pour faire peur à la mort mais ça sent déjà la mauvaise sueur de la bête traquée, ça pue le sang et les tripes. Ils croient peut-être qu’il suffit d’être en meute hurlante pour affronter la bête ! Ils ne savent pas encore son regard terrible juste avant le coup de grâce, ses mâchoires épouvantables qui vont les mettre en pièces. Ceux qui ont déjà connu la bataille ne gueulent pas. Ils ont entendu le bruit sourd du malheur qui se prépare dans l’ombre de ce jour maudit.

Nous, les femmes, on fait silence. On comprend tout d’un coup qu’il nous faudra être droites les unes à côté des autres pour garder l’espérance. On met en secret les mains sur notre ventre qui donne la vie. On regarde ces hommes si forts que nous avons accouchés pour bâtir le monde. Ils s’en vont en chantant sur ces chemins de misère où ils vont danser avec la mort. Nous sommes muettes devant ce grand mystère qui nous habite : cette joie d’enfanter des hommes que la bête nous enlève un à un.

 

représentation Contes collégiens

Deux photos-souvenirs d’une des représentations pour les collégiens de Contes en décembre 2018…