En cette période de fêtes, et en écho à notre nouvelle création « A table ! », je ne résiste pas au plaisir de vous mettre l’eau à la bouche avec quelques écrits légumiers gourmands illustrés par les œuvres de Guiseppe Arcimboldo.

A vos fourneaux et bons réveillons !

Benoit

Les Primeurs

 

On va déballer la fraîcheur du monde,
Les fruits, les primeurs, les cageots de fleurs.
Matin maraîcher, bombe et te débonde,
Halles et marchés, hissez vos couleurs !
L’aube des cités regorge de feuilles,
On va désangler les cressons puissants.
Sur leur dos carré – hisse ! – les accueillent
Les forts du carreau, les donnent de sang.

 

Qui parle toujours d’aurores malades,
D’hommes écœurés par le soleil neuf?
Voici sous leur faix de vertes salades
Les buveurs de blanc, les mangeurs de bœuf.
ô printemps du jour, heures vivrières,
C’est bien décidé pour tout l’univers :
On veut vivre encor la journée entière,
Et croquer du ferme, et mâcher du vert.

 

On veut trois repas et quatre services
Mais que la pitance ait l’esprit subtil.
On veut les jardins au fond du délice.
Et dans les raviers la moelle d’avril.
On veut que midi resplendisse et chante
Tout enguirlandé d’orgueil végétal,
D’artichauts aigus coupés dans l’acanthe,
D’ail et de poivrons vernis au mistral.

 

Saint-Germain-des-Prés, si loin des prairies,
Voici le rachat des nuits de tabac,
Et qu’en plein poitrail du Paris qui crie
Le cœur délicat des Vaucluse bat.
Ah ! Voici la fleur des saisons pucelles,
Voici le tribut des champs jouvenceaux,
De l’asperge vierge à pleines nacelles
Et du radis rose encore au berceau.

 

Mon cœur débardeur, empoignons la vie.
Qui parle toujours d’aube à l’abandon?
Journée, ô laitue, enfant-de-Marie,
Que j’aime palper ton joli bedon.
Je happe à deux mains les seins de Pomone,
Son corset d’osier craquant de candeur.
Vigueur au quintal, tendresse à la tonne,
Étreignons-les dur, mon cœur débardeur !

 

Anthologie personnelle, 1947-1997 – Lucienne DESNOUES

G. Arcimboldo – Printemps – 1573

G. Arcimboldo – Eté – 1573

Le Sonnet de l’asperge

 

Oui, faisons lui fête !
Légume prudent,
C’est la note honnête
D’un festin ardent.
J’aime que sa tête
Croque sous la dent,
Pas trop cependant.
Énorme elle est bête.
Fluette, il lui faut
Plier ce défaut
Au rôle d’adjointe,
Et souffrir, mêlé
Au vert de sa pointe,
L’or de l’œuf brouillé.

 

Sonnets gastronomiques, 1880 Charles MONSELET

« Si je peux faire un parallèle bien modeste entre Arcimboldo et moi-même, il concerne la mise en œuvre de nos arts. La spontanéité de ses toiles, son instinct de création démontrent un goût pour l’originalité. Son regard sur l’univers sensoriel et le travail préparatoire qu’il a mis en œuvre pour réaliser de telles peintures correspondent exactement aux mêmes recettes que j’applique dans mon métier tous les jours.»

 

Pierre Gagnaire, chef cuisinier

Guiseppe Arcimboldo – Automne – 1573

Prenez quelques belles aubergines, brillantes, bien en chair; la peau tendue, couchées dans le lit d’une cocotte (en fonte). Dès qu’une douce chaleur les envahit, elles s’alanguissent, s’offrent. Le poivron, aux aguets, approche, constate leur disponibilité, et sans même demander leur approbation, se glisse sur elles.

L’aubergine n’est pas raciste, rouges, verts ou jaunes, elle les accepte tous, dès l’instant où ils sont déshabillés, épépinés. Séduit, le poivron fond.

La courgette, pudique mais excitée – elle se tripote le pédoncule depuis un moment – attend les premiers signes de fatigue pour s’introduire auprès d’eux et ranimer les ardeurs. Impatiente – elle n’a pas l’air comme ça la courgette – elle enjambe la cocotte et très vite se mélange, une main sur l’aubergine, la bouche sur le poivron. Elle est disponible, elle en veut, elle en a, partout et sauvagement.

La tomate, grande prêtresse des mélanges, attend le moment propice. Les soupirs de l’aubergine, les gémissements de la courgette, la fougue du poivron la mettent au comble de l’excitation. Elle veut du plaisir. Sans tarder, elle pénètre dans la débauche des parfums déjà mêlés, embrasse, étreint, ranime et se laisse enfin prendre par toutes les turgescences. Les odeurs s’unissent, les jus se mélangent. L’orgie est à son comble.

L’ail a peur de ne pas en être, il se déshabille rapidement, enlève sa pelure et la gousse gonflée se précipite dans la bacchanale et apporte sa note d’originalité.

Le laurier qui aime tout le monde et que tout le monde aime, sait se montrer indispensable, posant sa feuille de l’un à l’autre. Il se fait léger, superficiel, volatile, attentif à ne pas gâcher par son amertume la suavité de ces ébats incestueux.

Le thym, fébrile, ne veut pas être en reste, il se précipite, impatient de se répandre au milieu de toutes ces fragrances.

Quand tous les participants commencent à se fatiguer, certains même à s’effondrer, le piment fait son apparition, triomphant, volant comme un oiseau au secours des défaillances des uns et des autres, exaltant par son énergie les plus indolents.

En langage légume, cela s’appelle « faire une ratatouille ».

 

Jean-Pierre Coffe, chef cuisinier

Guiseppe Arcimboldo – Hiver – 1573

Un petit classique, pour le plaisir…

Mais Claude était monté debout sur le banc, d’enthousiasme. Il força son compagnon à admirer le jour se levant sur les légumes. C’était une mer Elle s’étendait de la pointe Saint-Eustache à la rue des Halles, entre de groupes de pavillons. Et, aux deux bouts, dans les deux carrefours, le flot grandissait encore, les légumes submergeaient les pavés. Le jour se levait lentement, d’un gris très doux, lavant toutes choses d’une teinte d’aquarelle, Ces tas moutonnants comme des flots pressés, ce fleuve de verdure qui semblait couler dans l’encaissement de la chaussée, pareil à la débâcle des pluies d’automne, prenaient des ombres délicates et perlées, des violets attendris, des roses teintés de lait, des verts noyés de jaunes, toutes les pâleurs qui font du ciel une soie changeante au lever du soleil ; et, à mesure que l’incendie du matin montait en jets de flammes au fond de la rue Rambuteau, les légumes s’éveillaient davantage, sortaient du grand bleuissement traînant à terre. Les salades, les laitues, les scaroles, les chicorées, ouvertes et grasses encore de terreau montraient leurs cœurs éclatants; les paquets d’épinards, les paquets d’oseille, les bouquets d’artichauts, les entassements de haricots et de pois, les empilements de romaines, liées d’un brin de paille, chantaient toute la gamme du vert, de la laque verte des cosses au gros vert des feuilles ; gamme soutenue qui allait en se mourant, jusqu’au panachure des pieds de céleris et des bottes de poireaux.[…] A l’autre bout, au carrefour de la pointe Saint-Eustache, l’ouverture de la rue Rambuteau était barrée par une barricade de potirons orangés, sur deux rangs, s’étalant, élargissant leurs ventres. Et le vernis mordoré d’un panier d’oignons, le rouge saignant d’un tas de tomates, l’effacement jaunâtre d’un lot de concombres, le violet sombre d’une grappe d’aubergines, çà et là, s’allumaient ; pendant que de gros radis noirs, rangés en nappe de deuil, laissaient encore quelques trous de ténèbres au milieu des joies vibrantes du réveil. Claude battait des mains, à ce spectacle.

 

Emile Zola – Le Ventre de Paris – 1873

Arcimboldo plus vrai que nature !

La cerise sur le gâteau : l’artiste Toon Leemans a reproduit quatre tableaux de Guiseppe Arcimboldo avec de vrais fuits et légumes !