J’ai découvert la poésie de Nella Nobili tout à fait par hasard, enfin pas tout à fait.
Un ami  connaissant mon penchant pour la culture et la langue italienne et pour la Poésie m’a offert le livre de Nella Nobili poètesse italienne « La jeune fille à l’Usine ».
En mars nous célébrions les femmes, en mai la Commune de Paris.

Quel écho n’est-ce pas ?

D’autant plus que la maison des Editions Caractères se trouve dans une rue du quartier de mon enfance (maison d’Edition de poésie  fondée par le poète Bruno Durocher en 1950).
Lorsque j’ai lu le recueil de poèmes  de « La Jeune fille à l’Usine » (écrit en français par Nella Nobili), je me suis laissée emporter par la simplicité, la sincérité, la limpidité  de son style.
Le vers libre traduit ses émotions, ses inquiétudes, ses fêlures, ses rêves. J’ai été  emportée par ce souffle de vie, émue par sa souffrance, par ses aspirations.

Son style c’est sa façon d’être, femme, ouvrière et poète …
Nella Nobili désirait être poète, simplement poète. Depuis je me suis procurée un livre de ses poèmes en Edition bilingue édité par

« Les Cahiers de l’Hôtel de Galliffet ».

Au fil du temps Nella Nobili a composé dans les deux langues. Elle s’est « auto-traduite » en se livrant à des variations d’une langue à lautre.
Les poèmes sont écrits/ traduits, en français et en italien .

Sylvie V.

L’amie

Comme tu es étrange !
Tu as l’odeur des feuilles mortes
Tu as le pas du silence, la présence du temps.
Qu’importe si je ne puis t’appeler par ton nom.
Viens par ici. Les grappes sont mûres
 Les grappes de raisins tendent leurs peaux sur les rayons
Du soleil jusqu’à l’éclatement
                  Dors. Le visage dans l’ombre
Les étoiles noires des rêves viendront à ta rencontre
Oh ! Prends -moi par la nuque et entraîne- moi
Jusqu’au fond de l’abîme. Je m’incline
Sur son bord mais quelque chose me retient
J’hésite. Je ne peux pas te rejoindre
    Pas encore.

 

            L’amica

 Come sei strana, hai l’odore delle foglie, il passo
Del silenzio, la presenza del tempo.

 Che importa se non posso chiamarti per nome.

 Passerano i secoli sulla fronte ed essa sarà
Levigata e lucente comme una pietra dura. 

Nascono grappoli gonfi da scoppiare. Tendono il velo
Sottile della loro pelle e il sole scorre nelle piccole vene.

Dormi col viso nell’ombra. Sciami  di stelle nere ti
Verranno incontro.

Oh, prendetemi per la nuca e trascinatemi indietro in
Questo abisso.

 Ora che l’ho raggiunto non posso superarlo. Mi inclino
Sul bordo ma qualcuno mi trattiene.

 Non posso seguirti, non posso. Esito ancora.

Les rêves

Je ne me rappelle plus si c’était la neige ou
                                                                 le soleil
Qui rendait nos cœurs si légers comme si
                                                                  le soleil
Et la neige nous étaient enfin donnés
Et le vent et la pluie et le jour et la nuit
Etaient des biens auxquels nous pouvions
                                                                  atteindre
A pleines mains par tous les sens
En faire des provisions
Dans nos musettes dans nos mains dans
                                                           nos poumons
Sur toute la surface de la peau
Dans la bouche dans les yeux
La voix du vent la voix des eaux
Nous étions heureux ?
Nous étions heureux.

Je rêve d’un matin idéal.
Un matin que je porte dans mon cœur
                                      depuis tant d’années
Combien d’années ? Des siècles.
Je ne me rappelle pas qui me l’a décrit
                           mais j’entends encore sa voix
Elle était tendre comme le matin remplie de
promesses comme la lumière du jour
– Tu sais : le soleil prenait naissance
                                 derrière les collines
Et l’air et le ciel se tintaient de rose et
                                       toutes les choses
Palpitaient dans le réveil !

Oh si je pouvais entendre, si je pouvais
                                                               voir !
Mon matin à moi est triste, l’usine m’attend
Avec ses lampes électriques allumées pour
                                                             l’éternité .

(La mise en page et les traductions sont bien celles de l’auteure)

 

 

Quelques mots sur Nella….

 Nella Nobilli, née à Bologne en 1926 et morte à Cachan en 1985, présente cette particularité d’avoir composé en italien et en français et d’avoir été saluée par les plus grands, le peintre Giorgio Morandi en tête, qu’elle fréquente encore jeune fille à Bologne. 

Giorgio Morandi, Nature morte.

Nella Nobilli, fille de travailleur (père maçon et mère couturière «  à la journée »)  a commencé à travailler dès l’âge de douze ans. A quatorze ans, âge légal pour être embauchée à l’usine, elle travaille comme ouvrière dans une soufflerie de verre jusqu’en 1943.

La  guerre et la fermeture de l’usine l’ont contrainte à chercher du travail dans les hôpitaux de la ville où elle a été employée comme fille de salle pendant deux ans. En 1945 retour à l’usine jusqu’en 1949. Dans la période de l’après guerre elle a commencé à écrire des poèmes qui ont été remarqués et qui sont parvenus à des journaux de Rome. Un important quotidien romain a fait un reportage sur « la poètesse-ouvrière ».

Déçue et blessée par son expérience romaine , Nella décide de rejoindre la France au début des années 1950.

En 1978 elle publie La jeune fille à l’usine, à compte d’auteur aux Editions Caractères. Malgré le soutien et l’admiration de grands auteurs comme Henri Thomas  le succès espéré se fait attendre.

Loin de renoncer elle continue d’écrire.

En 1979 dans une interview sur France culture, Nella évoque l’engouement et l’admiration des cercles littéraires romains à son endroit.

«  Malentendu total : j’étais devenue du jour au lendemain l’ouvrière-poétesse, j’étais OS (Ouvrière Spécialisée) et je devins OP (Ouvrière Poètesse) … je rejette l’étiquette prolétarienne en tant que poète, tout en étant humainement solidaire de cette époque. »

 C’est en autodidacte qu’elle commence à développer un lien avec l’écriture et la poésie. Pendant les pauses, après le travail, elle écrit ses premiers textes, et lit avidement tout ce qu’elle trouve : la poésie italienne, mais aussi Rilke – un poète qu’elle aime tant – et Emily Dickinson.

En 1949, elle s’installe à Rome. Là, elle fréquente des groupes anti-fascistes, des artistes et écrivains comme Renata Vigano, Enrico Berlinguer ou Sibilla Aleramo. Ils sont ses premiers lecteurs, et par l’originalité de sa voix poétique, elle commence à se faire reconnaître et soutenir, notamment par Giorgio Morandi, Elsa Morante et Michel Ragon.

Travaillant dans un atelier dans sa jeunesse, aide-soignante pendant la guerre puis chef d’une entreprise artisanale de boutons de manchettes par la suite, Nella Nobili publie des poèmes en rapport avec le monde de l’usine (La jeune fille à l’usine, 1978), ce qui lui vaut une reconnaissance comme représentante de la littérature prolétarienne. Mais à Rome, elle a l’impression « d’être exhibée comme un petit monstre habillé en poète-ouvrier» et désenchantée, elle part pour la France.

Nobili arrive en 1953 à Paris, où elle demeurera jusqu’à la fin de sa vie, et commence à écrire en français dans les années 1960. Elle publie alors des recueils de poèmes et des ouvrages, notamment Les femmes et l’amour homosexuel, avec sa compagne, Edith Zha, en 1979, qui rassemble des témoignages, des réflexions et de la documentation sur l’amour homosexuel féminin. Elle publie dans des revues telles que Sorcières et correspond avec des figures comme Giorgio Morandi, Michel Ragon, Bernard Noël, Claire Etcherelli ou Henry Thomas. En 1975, Simone de Beauvoir, l’une de ses détracteurs, juge son écriture maladroite, inexpérimentée, improvisée et ce jugement sera très douloureux pour la poétesse.

Elle se suicide à l’âge de 59 ans, en 1985, à Cachan.

Ses œuvres sont traduites en partie par Marie-José Tramuta, professeure à l’Université de Caen Normandie. Ses archives sont conservées par l’IMEC (Institut Mémoires de l’édition Contemporaine).