Henri Michaux – photo Babelio

Il n’est rien de plus inspirant qu’un bon confinement et la fermeture des librairies, pour qu’à court d’envies de lecture, l’on explore sa bibliothèque à la recherche de quelqu’inspiration constructive.
Et je suis tombée sur cette perle sortie d’une caisse de livres de poésie amenée du déménagement de l’appartement de mes parents disparus, livres rangés sans plus de curiosité….
Je suis loin d’avoir fini les voyages auxquels nous invite l’auteur, mais je ne doute pas avoir d’autres histoires à partager…
Savourons déjà la Préface…La première édition datant de 1948, je subodore que la préface date de ce moment.

Anne L

L’auteur a vécu très souvent ailleurs : deux ans en Garabagne, à peu près autant au pays de la Magie, un peu moins à Poddema. Ou beaucoup plus. Les dates précises manquent.
Ces pays ne lui ont pas toujours plu excessivement. Par endroits, il a failli s’y apprivoiser. Pas vraiment. Les pays, on ne saurait assez s’en méfier.
Il est revenu chez lui après chaque voyage. Il n’a pas une résistance indéfinie.
Certains lecteurs ont trouvé ces pays un peu étranges. Cela ne durera pas. Cette impression passe déjà.
Il traduit aussi le Monde, celui qui voulait s’en échapper. Qui pourrait échapper ? Le vase est clos.
Ces pays, on le constatera, sont en somme parfaitement naturels ? On les retrouvera partout bientôt…
Naturels comme les plantes, les insectes, naturels comme la faim, l’habitude, l’âge, l’usage, les usages, la présence de l’inconnu tout près du connu. Derrière ce qui est, ce qui a failli être, ce qui tendait à être, menaçait d’être, et qui entre des millions de « possibles » commençait à être, mais n’a pu parfaire son installation…

                                                                                                                                    H.M.

Illustration tirée de L’histoire du bonbon de Anaïs Vaugelade – l’école des loisirs

Extraits de Voyage en Grande Garabagne

Premier extrait Pages 28-29

Chez les Émanglons, du moins dans la Principauté d’Aples, le malade (chronique, s’entend) occupe une place spéciale. C’est un coupable ou un imbécile. On recherche toujours si c’est l’un ou l’autre. Car ils considèrent qu’un homme intelligent agissant selon l’intuition qu’il a de soi ne peut tomber malade.

Pourtant les malades ne sont pas mal vus, sauf s’ils toussent. Selon eux, malade on retombe à sa vraie base, la santé étant plutôt semblable à la surface de la mer, la place y est meilleure mais le trouble plus grand.

Les malades ayant la réputation d’être de bon conseil, tous les ministres sont des malades et même des ministres accablés. Ils ont à leur solde des commis dévoués qu’ils envoient de-ci de-là et sur le rapport desquels ils commandent et gouvernent.

Certains décident des navires et des choses de la mer, sans avoir jamais pu se transporter jusque-là, encore qu’on les transporte volontiers, à moins qu’ils ne soient fiévreux. Mais dans ce cas il est rare qu’ils soient ministres, seulement conseillers mais de première importance, dans les circonstances graves et de qui aucun ministre même fort malade n’oserait se passer. « Des malades vient la sagesse, des fiévreux la lumière », aphorisme auquel ils ne doivent pas manquer de se soumettre.

 

Illustration tirée de Le jour du mange-poussin de Claude Ponti – l’école des loisirs

Extraits de Voyage en Grande Garabagne

Second extrait Pages 30-31

« La lèpre cornée des Émanglons »

      Ils commencèrent par présenter de petits points noirs au bout de la langue, qui durcissent tellement que l’homme peut déchirer de la viande avec. Mais il n’en a guère envie. Et ses ongles tombent. Des points noirs sous les ongles d’abord, puis les ongles tombent. Et les cheveux tombent. Les points noirs étaient déjà tout formés en dessous, il les sentait bien, car il avait l’impression de reposer, la tête dans une casserole, mais il ne disait rien, espoir tenace qu’on garde longtemps. Cependant, la maladie inexorable avance. Les pieds, les genoux, les jambes, les bras, le bas-ventre, le front, tout l’homme est encerclé. Seul le dos reste intact. Il y a une période d’arrêt de huit à dix jours. Puis les points convergent vers le cou, qui cependant reste intact.  Mais la peau du malade ne transpire plus, ne respire plus, l’asphyxie le prend, sans qu’aucun organe ne se soit plaint. Le malade meurt doucement avec une expression caractéristique qui suffirait à faire connaitre la cause du décès en dehors de très nombreux points noirs, véritable cuirasse. Le malade a une expression d’étonnement presque ravi, comme s’ilallait dire : « Pas vrai ! Pas possible ! »

Dans cette maladie on n’intervient ni pour retarder son développement, ni pour y mettre fin par l’étouffement du malade. Non ! Jamais ! Elle est même considérée comme la fin type de l’Émanglon.