Pourquoi ce titre ?

C’est en lien avec un discours de Jules Vallès

dans le Cri du Peuple

du 26 mars 2021

 

 » 26 mars. Quelle journée !

Ce soleil tiède et clair qui dore la gueule des canons, cette odeur de bouquets le frisson des drapeaux, le murmure de cette révolution qui passe, tranquille et belle comme une rivière bleue. »

Michèle AUDIN

Comme une rivière bleue

Paris 1871  Collection L’arbalète/Gallimard, Gallimard  Parution : 24-08-2017

Une petite foule de personnages, Marthe, Paul, Maria, Floriss… vivent, aiment, espèrent, travaillent, écrivent, se battent, enfermés dans Paris, pendant les soixante-douze jours qu’a duré la Commune. Comme une rivière bleue est leur histoire, vécue nuit et jour, à travers les fêtes, les concerts, les débats fiévreux, à l’Hôtel de Ville, à la barrière d’Enfer, au Château-d’Eau, sur les fortifications, dans ce Paris de 1871 qui est encore le nôtre. Le roman de Michèle Audin nous entraîne dans la ville assiégée, derrière quelques-uns des obscurs qui fabriquent cette révolution qui passe tranquille et belle comme une rivière bleue».

«Personne ne se souvient de leurs noms, mais je vais vous dire un ou deux mots de cette passementière qui toute sa courte vie souffrit tellement des dents, de ce marchand de produits chimiques de Saint-Paul que seules de grandes quantités de vin rouge consolaient, de ce menuisier qui sculptait de petits jouets en bois pour l’enfant qu’il attendait, de ce cordonnier qui se souvenait de ce geste touchant, sa femme relevant ses cheveux, elle était morte pendant le siège, de cette tourneuse qui aurait voulu être institutrice, de cette brocheuse qui avait un carnet dans lequel elle notait ce qu’elle faisait ou pensait…»

Michèle Audin dédie son roman, Comme une rivière bleue, à «Marthe et à tous les vaincus – pas parce qu’ils ont été battus mais parce qu’ils se sont battus». Ces vaincus qui se sont battus, ce sont les communards, les parisiens, journalistes, élus, ouvriers et ouvrières, blanchisseuses, tailleurs de pierre, journalières, typographes, passementières… À partir de la lecture de journaux d’époque, de romans et de témoignages, d’un travail d’archives minutieux, l’auteure retrace l’histoire de la Commune à Paris, dans une langue poétique et romanesque. Pour dire cette « révolution qui passe tranquille et belle comme une rivière bleue » (Jules Vallès), Michèle Audin signe un magnifique roman solidaire.

Comme une rivière bleue (1)

par Michèle Audin Lu par Anne L, Marie-Pierre et Maud

Michèle AUDIN         Comme une rivière bleue                   Paris 1871

Extraits du chapitre 33 p.389-391

Personne ne se souvient de leurs noms, mais je sais qu’ils habitaient Belleville, je voudrais pouvoir vous dire, elle était blanchisseuse, elle aurait aimé apprendre à lire un peu mieux, elle préférait laver à l’Espérance au coin du passage Kuszner qu’à Sainte-Catherine, et vous expliquer pourquoi, ou, elle était fleuriste et buvait des quantités énormes de café, ou encore, c’était un distillateur, il adorait les fraises et le Père Duchêne qui le faisait rire aux éclats, ou même, il était tailleur, croyait en Dieu et aimait qu’on lui lise le journal et les affiches à haute voix, parce qu’il ne lisait pas assez vite et surtout parce que, ainsi, on pouvait discuter, et discuter, ça oui, il le faisait, et parfois jusqu’aux gnons.

Personne ne se souvient de leurs noms, mais je peux vous dire qu’ils vivaient près du jardin des Plantes, un tailleur de pierres qui pratiquait la boxe française, je peux presque l’entendre croquer gaiement une pomme sur le trottoir en rentrant chez lui et puis elle, la couturière qui adorait les romans maritimes, qu’elle lisait en feuilleton en bas de la première page des journaux, des livres elle n’en avait et n’avait pas le temps, et encore ce tonnelier de la rue Linné, il aurait aimé voyager lui aussi et je suis sûr qu’il adorait le boudin avec de gros morceaux de gras.

Personne ne se souvient de leurs noms, et pas vraiment d’eux non plus,  eux du dix-huitième arrondissement, la cuisinière qui n’aimait pas le vin mais ne crachait pas sur un verre de rhum, le journalier de la rue Norvins qui jouait du clairon et râlait après les élus qui parlent au lieu d’agir, le cordonnier qui, avant d’avoir quatre enfants, allait danser le dimanche à Joinville, et il dansait fameusement bien, la rempailleuse de chaises qui adorait la frangipane et rêvait d’un jardin, pour le lilas au printemps, l’éventailliste qui détestait les épinards – elle n’était pas la seule – et que le Père Duchêne énervait – elle n’était pas la seule non plus -, l’ajusteur serrurier qui était si fier de sa façon de travailler, de ses gestes précis, et détestait tant les curés !

…/…à suivre

Femme conduisant la batterie de mitrailleuse

Comme une rivière bleue (suite)

par Michèle Audin lu par Marie-Christine ET Betty

…/…

Personne ne se souvient de leurs noms, mais je vais vous en parler d’eux, ceux du onzième, la journalière de la rue Popincourt, qui aurait rêvé de cultiver son jardin et se demandait comment c’était un baiser sans moustache, qu’elle goûterait bien une fois, pour voir, la frangeuse qui aimait tant les morceaux dans la confiture d’abricots, le marchand de café qui ne mettait pas de chemise pour dormir, je dors à cru disait-il, la cannière qui savait par cœur plusieurs poèmes de Victor Hugo, le typographe qui allait à la synagogue et se pelait une banane en en revenant, la réparatrice de parapluies qui avait un canari dans une cage et aurait aimé apprendre le piano, le maçon de la rue du Chemin-Vert qui se souvient, quand le lignard le mit en joue, des petits seins de sa cousine, ils avaient treize ans tous les deux.

Personne ne se souvient de leurs noms, mais je vais vous dire un ou deux mots de cette passementière qui toute sa courte vie souffrit tellement des dents, de ce marchand de produits chimiques de Saint-Paul qui pleurait en pensant à sa mère morte de la variole et que seules de grandes quantités de vin rouge consolaient, de ce menuisier qui sculptait de petits jouets en bois pour l’enfant qu’il attendait, de ce forgeron qui allait se confesser toutes les semaines, enfin presque, et adorait les beignets de carnaval bien huileux, de ce cordonnier qui se souvenait de ce geste touchant, sa femme relevant ses cheveux, elle était morte pendant le siège et maintenant trois petits orphelins, de cette tourneuse qui aurait voulu être institutrice, de cette brocheuse qui raffolait des pieds de cochon grillés et qui avait un carnet dans lequel elle notait ce qu’elle faisait ou pensait, le carnet aussi a disparu…