En ce 8 mars 2021, nous célébrons la journée internationale des droits des femmes par un montage de textes, d’images et de vidéos sur des femmes remarquables ; il s’agit non seulement d’autrices, de poètes, mais aussi d’artistes, d’inventrices, parfois peu connues de leur vivant, parfois même persécutées par des hommes ou leur famille ou tout simplement effacées de la société des vivants.

Nous avons décidé de consacrer bon nombre de nos publications durant le mois de mars à des écrits ou témoignages sur des femmes qui ont par leur activité, leur art, leur intelligence, leurs écrits, laissé des traces qui méritent d’être mises au jour.

Cette première vidéo est consacrée à des échanges entre quatre membres de l’association à propos de la chirurgienne Suzanne Noël.

« Je portais sur mon chapeau un ruban sur lequel était imprimé en lettres dorées :
Je veux voter !
Je m’étais en outre spécialisée dans la chirurgie plastique, inconnue jusque-là, et on disait de moi que j’étais deux fois folle. » 

Suzanne Noël

Le destin singulier de Suzanne Noël

Le destin singulier de Suzanne noël

par Betty | musique Claude Debussy : Children's Corner

LE DESTIN SINGULIER DE SUZANNE NOEL (1878 – 1954)

Pionnière de la chirurgie esthétique moderne, d’une profonde humanité, d’une détermination sans faille, cette talentueuse chirurgienne est aussi une héroïne de l’émancipation féminine. Sa vie est un roman !

Née en 1878 dans une famille de la petite bourgeoisie, rien ne prédestine la jeune Suzanne Gros à tâter du bistouri. Si ce n’est son mariage, à 19 ans, avec le Dr Henri Pertat. La frêle jeune fille est douée pour le dessin, mais pas question pour elle de rester à la maison pour faire des enfants et des aquarelles. Coup de chance, Henri est un passionné large d’esprit, qui la pousse à poursuivre ses études, à passer son baccalauréat et à faire médecine, une première à l’époque. Deuxième signe du destin, elle commence sa formation avec le Pr Hippolyte Morestin, as de la chirurgie maxillo-faciale. La réputation de ce dernier est telle qu’Al Capone tentera de le faire ve­nir à Chicago pour effacer ses balafres. Avec lui, elle apprend à réparer les cicatrices et ose quelques interventions esthétiques. Elle croise le chemin d’un jeune aspirant médecin, André Noël, qui, à son tour, fait basculer sa vie. En 1908, Suzanne donne naissance à une petite Jacqueline, de père… incertain.

Juin 1912. Sur le palier d’un immeuble cossu, un cœur bat la chamade… Derrière la porte ? Sarah Bernhardt, la star de l’époque, qui rentre des États-Unis avec un «coup de jeune» à demi réussi dont les journaux font des gorges chaudes. Suzanne a déjà réalisé de petites opérations esthétiques et s’est même essayée au lifting sur des patientes volontaires. Elle veut absolument voir l’opération de l’actrice de plus près. La chirurgienne en herbe comprend tout de suite : « On lui avait prélevé, dans le cuir chevelu, une simple bande allant d’une oreille à l’autre. Efficace pour le haut du visage, cela n’avait en rien modifié le bas… Elle fut l’une de mes premières clientes ».

Sarah Bernhart

Réparer les vivants
Avec l’armistice, 15000 français reviennent du front « les gueules cassées », traumatisés, abandonnés par l’Etat, ces hommes offrent une vision d’horreur à leur famille et à la société.
Suzanne Noël a des mains de magicienne.
Elle greffe des peaux, des os, reconstitue des mâchoires et effectue des transplantations inédites avec des fragments de cartilages.
Son humanité et son écoute forcent le respect.
Elle ne compte pas ses heures.
Suzanne, qui hante les galeries et les musées, n’a pas son pareil pour recréer un visage, redonner une cohérence à un visage détruit.
Audacieuse, pugnace, elle invente des mécanismes pour pallier l’absence de tel ou tel ossement

Grâce à son immense talent, certains de ces patients défigurés se prennent à espérer le retour à une vie presque normale.


Mais, pour elle, la fin de la guerre ne sonne pas le glas des tourments.

Enfant, elle a perdu son père, deux frères et une sœur. De gros soucis de santé ont ralenti ses études. En 1918, son premier mari meurt à son tour des suites du gaz moutarde. Remariée avec André Noël, l’horizon s’éclaircit mais, en 1922, c’est sa fille Jacqueline, si douée pour le violon, qui meurt à son tour de la grippe espagnole. André ne s’en remet pas. Il sombre dans la dépression et finit par se jeter dans la Seine sous les yeux de sa femme, la laissant criblée de dettes.

Se reconstruire
Le scalpel ne lui suffit pas. Dès 1924, en pleine tourmente personnelle, la chirurgienne a été contactée par le Soroptimist (sœur pour le meilleur), un club féminin professionnel, apolitique et laïque, né en Californie.

Suzanne, l’idéaliste, s’emballe. Dès 1925, elle fonde le premier club Soroptimist de Paris. Elle y réunit du beau monde, comme Anna de Noailles, Jeanne Lanvin, Nadia Boulanger…, se donne à fond, crée une douzaine d’autres clubs dans toute l’Europe, le dernier à Istanbul en 1948. Elle va même jusqu’à Pékin et Tokyo prêcher la bonne parole.

Ainsi écrit-elle : « Les difficultés ne manquaient pas ; D’abord l’idée de club, inconnue en France pour les femmes … puis, nous avions contre nous nos propres maris qui voyaient d’un mauvais œil les réunions hebdomadaires au restaurant sans leur présence. Ils admettaient cela fort bien pour les rotariens qui étaient des hommes mais pas pour leurs femmes.
Il faut penser qu’en 1924 les femmes n’avaient aucune liberté personnelle et celles qui poussaient à ces libérations étaient l’objet de la risée et appelées «suffragettes».
J’étais une des plus visées, portant sur mon chapeau un ruban sur lequel étaient imprimées en lettres dorées «JE VEUX VOTER ».
Le mot Soroptimist fait d’un latin… relatif, n’était pas fait pour me faciliter la tâche. Je m’étais en outre, spécialisée dans la chirurgie plastique, inconnue jusque-là, et on disait de moi que j’étais deux fois folle ».

En 1926 Suzanne fait éditer son livre : « La Chirurgie esthétique : son rôle social » chez Masson, libraire de l’Académie de Médecine.
Ses patientes viennent des beaux quartiers, mais Suzanne opère gratuitement des vendeuses, des secrétaires, des ouvrières, licenciées parce que jugées trop vieilles.
Au-delà de sa portée esthétique, cette chirurgie, pour Suzanne, est un levier de l’émancipation sociale des femmes.
« La chirurgie esthétique, écrit-elle, m’apparut comme un véritable bienfait social, permettant aussi bien aux hommes qu’aux femmes de prolonger leurs possibilités de travail d’une manière inespérée. Partout il faut de la jeunesse et de la beauté.
Quant à la psychologie de l’entourage Suzanne Noël, en particulier, fait le parallèle entre les maris étrangers et les maris français :
« Les maris français, lorsqu’on parle de chirurgie esthétique devant eux, se hérissent littéralement, très inquiets de voir leur femme désirer conserver leur beauté.
C’est en France, de même que pour le vote, que les femmes ont le plus de difficultés à avouer ouvertement leur désir de rester jeune.
Les parents et l’entourage raisonnent de même, le plus souvent.
Moralité : les femmes se font opérer et ne le disent pas !

Et de conclure : « J’espère avoir fait comprendre, dans cet ouvrage, toute l’importance de la chirurgie esthétique au point de vue social et ses différentes indications.
C’est une chirurgie qui peut paraître facile, mais, elle est pleine d’embûches.
Elle nécessite une sûreté de technique absolue, une grande justesse de coup d’œil et surtout un goût absolument impeccable ce qui n’est pas une chose si commune.
Il est donc nécessaire que ceux qui feront cette chirurgie sans guide et sans longue préparation préalable, soient d’une extrême circonspection s’ils ne veulent pas courir à des désastres.»

Suzanne Noël est aussi la première à réaliser des photos avant-après chirurgie, et la première aussi à réaliser de la chirurgie ambulatoire à son cabinet.

Elle raconte : « une femme médecin serbe fut opérée par moi un soir à 6 heures en toilette de soirée puisqu’elle dînait à l’ambassade à 8 heures. Elle eut un succès éblouissant.
Le lendemain, elle repartait à Vienne d’où son mari, médecin également, me télégraphia quelques jours après : «  Fils enlevés par moi. Résultat merveilleux. Reconnaissance absolue. »

En 1936, elle perd quasiment la vue. Opérée avec succès, elle ne peut néanmoins plus travailler comme avant, alors elle milite de plus belle.
Toute sa vie durant elle opéra et parcourut le monde pour créer des clubs Soroptimist.
Passionnée, enthousiaste, infatigable.
Durant la seconde guerre mondiale elle passe dans la clandestinité, elle métamorphose le visage de résistants, de personnes juives recherchées par la Gestapo.

Elle meurt le 11 novembre 1954 à 76 ans des suites d’une fracture du fémur.

 

Sources :
– Suzanne Noël La Chirurgie esthétique : son rôle social
Ed. Masson, libraires de l’Académie de Médecine, 1926.

Dr Jeannine Jacquemin : Revue d’histoire des Sciences Médicales, 1988.

– Dr Gérald Franchi : Le lifting du visage, une histoire de femmes, 2019.

Leila Slimani et Clément Oubrerie : A mains nues, Ed.les Arènes, 2020.

« Les femmes se font opérer et ne le disent pas ! »

Suzanne Noël

l'homme qui marche
Homme Qui Chavire

« Les difficultés ne manquaient pas ; nous avions contre nous nos propres maris qui voyaient d’un mauvais œil les réunions hebdomadaires au restaurant sans leur présence. » 

Suzanne Noël

 « Ils ont inventé l’âme »

Un poème d’Anna de Noailles (1876-1933), musique de Franck Berthoux

 

Anna naît dans une richissime famille de la noblesse roumaine. Sa mère est pianiste. Avec son frère aîné Constantin et sa sœur cadette Hélène, elle mène une vie privilégiée: elle parle cinq langues et reçoit une éducation tournée vers les arts.
Elle devient Anna de Noailles en épousant à l’âge de 19 ans le comte Mathieu de Noailles, quatrième fils du septième duc de Noailles.
Au début du XXe siècle, son salon de l’avenue Hoche attire l’élite intellectuelle, littéraire et artistique de l’époque.
Elle est la première femme élevée au grade de commandeur de la Légion d’honneur.
Anna de Noailles a écrit trois romans, une autobiographie et un grand nombre de poèmes.
Son lyrisme passionné s’exalte dans une œuvre qui développe, d’une manière très personnelle, les grands thèmes de l’amour, de la nature et de la mort.
Elle fut une des membres d’un club « soroptimist » initié par Suzanne Noël.

 

Ils ont inventé l’âme – Anna de Noailles

 

Ils ont inventé l’âme afin que l’on abaisse
Le corps, unique lieu de rêve et de raison,
Asile du désir, de l’image et des sons,
Et par qui tout est mort dès le moment qu’il cesse.

Ils nous imposent l’âme, afin que lâchement
On détourne les yeux du sol, et qu’on oublie,
Après l’injurieux ensevelissement,
Que sous le vin vivant tout est funèbre lie.

– Je ne commettrai pas envers votre bonté,
Envers votre grandeur, secrète mais charnelle,
Ô corps désagrégés, ô confuses prunelles,
La trahison de croire à votre éternité.

Je refuse l’espoir, l’altitude, les ailes,
Mais, étrangère au monde et souhaitant le froid
De vos affreux tombeaux, trop bas et trop étroits,
J’affirme, en recherchant vos nuits vastes et vaines,
Qu’il n’est rien qui survive à la chaleur des veines !