Loukas Geralis « Ithaque »
Constantin Cavafis par Yannis Kephallenos

Traduction du grec par  Jacques Lacarrière in Dictionnaire amoureux de la Grèce (Plon).
Constantin CAVAFIS (1863-1933) est considéré comme l’un des plus grands poètes de la Grèce contemporaine, aux côtés de Georges Seferis, Yannis Ritsos et Odysseas Elytis… Il naquit et vécut à Alexandrie d’Egypte. Toute son œuvre est marquée par l’histoire de la Grèce et de sa diaspora autour de la Méditerranée, depuis l’Antiquité classique et hellénistique jusqu’à nos jours, en passant par la période byzantine. Son œuvre est disponible en français chez Poésie Gallimard, en deux versions, la première traduite par Marguerite Yourcenar, la seconde par Dominique Grandmont.
Jean-Jacques C

Nous avons fait la lecture de ce texte à deux reprises en 2018 à Contes (Maud et Viviane) et 2019 à Menton au jardin du Val Rahmeh (Anne B, Odile et Anne L) mais dans des traductions différentes de Marguerite Yourcenar et Michel Volkovitch que vous trouverez ci-après.

Ithaque

par Constantin Cavafis, lu par Marie-Pierre

Constantin Cavafys : ITHAQUE (1911).

Quand tu prendras le chemin vers Ithaque
Souhaite que dure le voyage,
Qu’il soit plein d’aventures et plein d’enseignements.
Les Lestrygons et les Cyclopes,
Les fureurs de Poséidon, ne les redoute pas.
Tu ne les trouveras pas sur ton trajet
Si ta pensée demeure sereine, si seuls de purs
Émois effleurent ton âme et ton corps.
Les Lestrygons et les Cyclopes,
Les violences de Poséidon, tu ne les verras pas
A moins de les receler en toi-même
Ou à moins que ton âme ne les dresse devant toi.

Souhaite que dure le voyage.
Que nombreux soient les matins d’été où
Avec quelle ferveur et quelle délectation
Tu aborderas à des ports inconnus !
Arrête-toi aux comptoirs phéniciens
Acquiers-y de belles marchandises
Nacres, coraux, ambres et ébènes
Et toutes sortes d’entêtants parfums
Le plus possible d’entêtants parfums,
Visite aussi les nombreuses cités de l’Égypte
Pour t’y instruire, t’y initier auprès des sages.

Et surtout n‘oublie pas Ithaque.
Y parvenir est ton unique but.
Mais ne presse pas ton voyage
Prolonge-le le plus longtemps possible
Et n’atteint l’île qu’une fois vieux,
Riche de tous les gains de ton voyage
Tu n’auras plus besoin qu’Ithaque t’enrichisse.
Ithaque t’a accordé le beau voyage,
Sans elle, tu ne serais jamais parti.
Elle n’a rien d’autre à te donner.
Et si pauvre qu’elle te paraisse
Ithaque ne t’aura pas trompé.
Sage et riche de tant d’acquis
Tu auras compris ce que signifient les Ithaques.

Constantin CAVAFIS  – Ithaque –  Choix de poèmes – Ed Aiora – 2015
Traduit du Grec par Michel Volkovitch

Quand tu te mettras en route vers Ithaque,
Souhaite que le chemin soit long,
Plein d’aventures, plein d’enseignements.
Les Lestrygons et les Cyclopes,
La colère de Poséidon, ne les crains pas,
Jamais sur ton chemin tu ne verras rien de tel
Si ta pensée garde sa hauteur, si une émotion rare
Etreint ton âme et ton corps.
Les Lestrygons et les Cyclopes,
Et Poséidon furieux, tu ne les croiseras guère
Si tu ne les transportes pas en esprit,
Si ton esprit ne les dresse pas devant toi.
Souhaite que le chemin soit long.
Que soient nombreux les matins d’été
Où – quel plaisir, quelle joie ! –
Tu entreras dans des ports jamais vus ;
Dans des comptoirs phéniciens fais halte,
Et procure toi de la bonne marchandise
Nacre, corail, ambre ou ébène,
Et des parfums voluptueux de toutes sortes,
Le plus possible de parfums voluptueux ;
Visite encore bien des villes égyptiennes,
Apprends, apprends toujours auprès des savants.
Garde à l’esprit toujours Ithaque.
L’arrivée là-bas est ton but.
Mais ne hâte en rien ton voyage.
Qu’il dure des années, cela vaut mieux ;
Que tu sois vieux en abordant sur l’île,
riche de ce que tu as gagné en chemin,
sans attendre de richesse d’Ithaque.
Ithaque t’a offert ce beau voyage.
Tu n’aurais pas sans elle pris la route.
Elle n’a plus rien à t’offrir.
Et si elle t’apparaît pauvre, Ithaque ne t’aura pas trompé.
Devenu sage, avec tant d’expérience,
Tu dois savoir ce que les Ithaques veulent dire.

 

 traduction de Marguerite Yourcenar

Quand tu partiras pour Ithaque, 
souhaite que le chemin soit long, 
riche en péripéties et en expériences.
Ne crains ni les Lestrygons, ni les Cyclopes,
 ni la colère de Neptune.
 Tu ne verras rien de pareil sur ta route si tes pensées restent hautes, s
i ton corps et ton âme ne se laissent effleurer 
que par des émotions sans bassesse.
Tu ne rencontreras ni les Lestrygons, ni les Cyclopes,
 ni le farouche Neptune,
 si tu ne les portes pas en toi-même,
 si ton cœur ne les dresse pas devant toi.
Souhaite que le chemin soit long, 
que nombreux soient les matins d’été,
 où (avec quelles délices !) tu pénètreras
 dans des ports vus pour la première fois.
Fais escale à des comptoirs phéniciens,
 et acquiers de belles marchandises : 
nacre et corail, ambre et ébène,
 et mille sortes d’entêtants parfums.
 Acquiers le plus possible de ces entêtants parfums.
Visite de nombreuses cités égyptiennes,
 et instruis-toi avidement auprès de leurs sages.
Garde sans cesse Ithaque présente à ton esprit. 
Ton but final est d’y parvenir,
Mais n’écourte pas ton voyage :
 mieux vaut qu’il dure de longues années,
 et que tu abordes enfin dans ton île aux jours de ta vieillesse, 
riche de tout ce que tu as gagné en chemin,
 sans attendre qu’Ithaque t’enrichisse.
Ithaque t’a donné le beau voyage :
 sans elle, tu ne te serais pas mis en route.
 Elle n’a plus rien d’autre à te donner.
Même si tu la trouves pauvre, Ithaque ne t’a pas trompé.
 Sage comme tu l’es devenu à la suite de tant d’expériences, 
tu as enfin compris ce que signifient les Ithaques.

 

ues.