Homo sapiens à la conquête du Monde

Dans le chapitre « Le déluge » de « Sapiens, une brève histoire de l’humanité », Y. N. Harari montre le rôle de ‘serial killer écologique’ joué par l’Homme depuis la nuit des temps.

En voici quelques extraits choisis.

Yuval Noah Harari, « Sapiens, une brève histoire de l’humanité »

Editions Albin Michel, 2015

Musique : Claude Debussy, « Arabesques », « Suite Bergamasque », Percussions Claviers De Lyon

Vers l’épisode précédent…

« Nous avons le privilège douteux d’être l’espèce la plus meurtrière des annales de la biologie.« 

Homo Sapiens à la conquête de l'Australie

par Yuval Noah Harari, lu par Benoit

Avant la Révolution cognitive, toutes les espèces d’hommes vivaient exclusivement sur le bloc continental afro-asiatique.[…] La barrière maritime empêcha les hommes mais aussi de nombreux autres animaux et végétaux afro-asiatiques d’atteindre ce « Monde extérieur ». De ce fait, les organismes de terres lointaines comme l’Australie et Madagascar évoluèrent isolément durant des millions et des millions d’années [….]. La planète Terre était partagée en plusieurs écosystèmes distincts, tous composés d’un assemblage unique d’animaux et de végétaux. Homo sapiens était sur le point de mettre fin à cette exubérance biologique. […]

Le voyage des premiers humains vers l’Australie est un des événements les plus importants de l’histoire, au moins aussi important que le voyage de Christophe Colomb vers l’Amérique ou l’expédition d’Apollo 11 vers la Lune. […]

L’instant où le premier chasseur-cueilleur posa le pied sur une plage australienne fut le moment où l’Homo sapiens se hissa à l’échelon supérieur de la chaîne alimentaire […], puis devint l’espèce la plus redoutable dans les annales de la planète Terre. 

Jusque-là, les hommes avaient manifesté des adaptations et des comportements novateurs, mais leur effet sur l’environnement était demeuré négligeable. Ils avaient remarquablement réussi à s’aventurer dans de nouveaux habitats et à s’y installer, mais ils ne les avaient pas radicalement changés. Les colons de l’Australie ou, plus exactement, ses conquérants, ne se contentèrent pas de s’adapter : ils transformèrent l’écosystème australien au point de le rendre méconnaissable.

Les vagues effacèrent aussitôt la première empreinte de pied humain sur le sable d’une plage australienne. En revanche, avançant à l’intérieur des terres, les envahisseurs laissèrent une empreinte de pas différente, qui ne devait jamais être effacée. À mesure qu’ils progressèrent, ils découvrirent un étrange univers de créatures inconnues dont […] un lion marsupial aussi massif qu’un tigre moderne, qui était le plus gros prédateur du continent.[…]. Le diprotodon géant, wombat de deux tonnes et demie, écumait la forêt. […] Hormis les oiseaux et les reptiles, tous ces animaux étaient des marsupiaux […]. Quasiment inconnus en Afrique et en Asie, les mammifères marsupiaux étaient souverains en Australie. 

Presque tous ces géants disparurent en quelques milliers d’années […].

« Il est courant de nos jours d’expliquer tout et n’importe quoi par le changement climatique, mais la vérité c’est que le climat de la Terre n’est jamais au repos. Il est perpétuellement en mouvement. L’histoire s’est toujours déroulée sur fond de changement climatique.

Si l’extinction australienne était un événement isolé, nous pourrions accorder aux hommes le bénéfice du doute. Or, l’histoire donne de l’Homo sapiens l’image d’un serial killer écologique. »

Homo Sapiens : un désastre pour l'environnement ?

par Yuval Noah Harari, lu par Benoit

Les Amériques avaient été un grand laboratoire d’expérimentation de l’évolution, un espace où avaient évolué et prospéré des animaux et des végétaux inconnus en Afrique et en Asie.

Mais ce n’est plus le cas. Deux mille ans après l’arrivée du Sapiens, la plupart de ces espèces uniques avaient disparu. Dans ce bref intervalle, suivant les estimations courantes, l’Amérique du Nord perdit 34 de ses 47 genres de gros mammifères, et l’Amérique du Sud 50 sur 60. Après plus de 30 millions d’années de prospérité, les chats à dents de cimeterre disparurent. Tout comme les paresseux terrestres géants, les lions énormes, les chevaux et les chameaux indigènes d’Amérique, les rongeurs géants et les mammouths.[…]

La première vague de colonisation Sapiens a été l’une des catastrophes écologiques les plus amples et les plus rapides qui se soient abattues sur le règne animal. […]

Homo sapiens provoqua l’extinction de près de la moitié des grands animaux de la planète, bien avant que l’homme n’invente la roue, l’écriture ou les outils de fer. 

Cette tragédie écologique s’est rejouée en miniature un nombre incalculable de fois après la Révolution agricole. Île après île, les données archéologiques racontent la même histoire. La scène d’ouverture montre une population riche et variée de gros animaux, sans aucune trace d’humains. Dans la scène 2, l’apparition de Sapiens est attestée par un os humain, une pointe de lance et, peut-être, un tesson de poterie. L’enchaînement est rapide avec la scène 3, dans laquelle des hommes et des femmes occupent le centre, tandis que la plupart des gros animaux, et beaucoup de plus petits, ont disparu.[…]

Des désastres écologiques semblables se produisirent sur presque chacune des îles qui parsèment l’Atlantique, l’océan Indien, l’océan Arctique et la Méditerranée. Jusque sur les îlots les plus minuscules, les archéologues ont découvert les traces de l’existence d’oiseaux, d’insectes et d’escargots qui y vivaient depuis d’innombrables générations, à seule fin de disparaître quand arrivèrent les premiers humains. Une poignée seulement d’îles très lointaines échappèrent à l’attention de l’homme jusqu’à l’âge moderne, et ces îles gardèrent leur faune intacte.[…]

La première vague d’extinction, qui accompagna l’essor des fourrageurs et fut suivie par la deuxième, qui accompagna l’essor des cultivateurs, nous offre une perspective intéressante sur la troisième vague que provoque aujourd’hui l’activité industrielle. Ne croyez pas les écolos qui prétendent que nos ancêtres vivaient en harmonie avec la nature. […]

Nous avons le privilège douteux d’être l’espèce la plus meurtrière des annales de la biologie.

« Les coupables, c’est nous. Mieux vaudrait le reconnaître. Il n’y a pas moyen de contourner cette vérité. Même si le changement climatique nous a aidés, la contribution humaine a été décisive. »

Ce quatrième chapitre achève l’évocation de la Révolution cognitive. Ce livre passionnant comporte ensuite deux autres parties centrées sur la Révolution agricole et la Révolution scientifique. Au fil des pages Y.N. Harari décrit l’emprise grandissante de l’Homme sur son environnement naturel et évoque les menaces de l’Homme pour son espèce. Mais il n’est peut-être pas trop tard pour réagir…

Ami des mots, j’espère t’avoir mis l’eau à la bouche, que te vient l’envie de plonger dans notre histoire, pour la comprendre et agir en faveur d’un futur plus radieux pour l’humanité.

Benoit