Carte postale ancienne : Roquebillière et sa station de tramway

C’est là que JMG Le Clézio s’est réfugié avec sa famille pendant la seconde guerre mondiale,

« …Le refuge, c’est le petit village de Roquebillière, dans l’arrière-pays niçois, dans la vallée de la Vésubie… »

 

Chanson bretonne 3ème partie : L'enfant et la guerre

par JMG Le Clézio, lu par Anne L

Musique  : Didier Squiban, Album One for…, Tal Armor

L’enfant et la guerre

Le refuge, c’est le petit village de Roquebillière, dans l’arrière-pays niçois, dans la vallée de la Vésubie. Pourquoi ma mère et ma grand-mère choisissent-elles ce village ? Qui leur a conseillé ? Le choix a-t-il quelque chose à voir avec celui de Saint-Martin, lui aussi dans la vallée de la Vésubie, qui accueille à la même époque (en avril 43) une partie de la communauté juive de Nice ? Est-ce que les habitants de ces villages ont fait preuve de compassion ? Plus tard, ils se montreront très généreux envers des migrants clandestins venus d’Italie. Accueillir des fugitifs au moment où l’armée allemande entre en Provence, c’était faire preuve de courage et de détermination. Les habitants de ces villages, à Roquebillière ou à Saint-Martin, couraient le risque de représailles, les hommes qui restaient pouvaient être déportés eux aussi, envoyés vers les camps. Ce qui est le plus remarquable, c’est que dans ces deux villages de la Vésubie, la solidarité a été totale. Il n’y a pas eu de dénonciation, ni même d’objection. Tous les habitants, sans exception, ont soutenus les fugitifs.  Notre famille d’accueil, à Roquebillière, a ouvert le premier étage d’une maison, dont le rez-de-chaussée était utilisé comme remise, pour accueillir une famille (…) de Britanniques, c’est-à-dire des ennemis de l’occupant. A Saint-Martin, les mêmes montagnards ont accueilli les familles juives, les ont logées dans leurs maisons, les ont aidées à vivre, alors que tout était difficile. Nous devons, sans doute, d’avoir survécu à leur héroïsme sans faille et sans emphase.

Les enfants, évidemment n’en savent rien. Le déménagement a dû se faire en camionnette, pas question de circuler sur les routes de montagnes avec une De Dion-Bouton jaune paille, qui aurait attiré l’attention des espions. Dans ces circonstances  qu’est-ce qu’on raconte aux enfants?  Nous partons en voyage, en vacances, c’est tout. Mon père à huit mille kilomètres de là, en Afrique, ne sait rien. Ou peut-être est-il prévenu par le canal diplomatique américain, par Mr O’Gilvy, sans mention d’endroit. Votre famille est en sécurité.  Est-ce à ce moment là qu’il cherche à nous rejoindre en France, pour nous aider à passer en Angleterre ? Il remonte le Nigeria, embraque à bord d’un camion qui traverse le Sahara, espère prendre un bateau d’Alger pour nous retrouver dans le sud de la France. Puis se heurte au refus d’un officier français des Forces libres resté en Afrique du Nord qui lui refuse le passage, parce qu’il est Anglais  et que les anglais ont coulé la flotte française à Mers-el-Kébir. […]

Dans un pays défait comme la France en 40, il n’y a plus de solidarités, plus de lois, plus de dignité. C’est le règne des vengeances et des compromis. Plutôt que d’aider un anglais, ils se rangent derrière le vainqueur, lui prêtent main. Cela explique peut-être la défaite.  […]

La guerre c’est gris. Nice, la Côte d’Azur, cela enchante les voyageurs, les artistes, les peintres. Matisse a joué avec toutes les couleurs de la palette de la joie, la mer bleue, les palmiers, les fleurs, les filles, sans doute ce qu’il voyait (ou imaginait) de sa fenêtre au palais Victoria.   Moi, je ne m’en souviens pas.  Nous avions quitté le villa Idalie, au boulevard Carnot, parce que les derniers temps, nous passions de long moment à la cave, écoutant  la sirène d’alarme, guettant le grondement des bombes.  Nous sommes arrivés à Roquebillière au début du printemps 43, alors qu’il faisait encore froid, et je me souviens seulement du gris. Le gris des paletots des soldats allemands que j’ai vu occupés à déjanter les pneus de l’auto de ma grand-mère, dans la cour de son immeuble. Gris comme le ciel de l’aube quand nous sommes partis en camion pour la montagne. Gris comme les vallées de l’arrière pays, couleur de ciment des falaises, couleur de pierres nues des maisons de village, couleur de l’air confiné de la remise au- dessus de laquelle nous allions vivre. […]

Ce grand vide de mon enfance dans la guerre, comment vais-je le combler ? Toutes ces années perdues, enfermées, affamées, isolées, comment les retrouver ?
Comment les accepter ?
L’absence de mon père, à ma naissance, puis durant le temps de ma petite enfance, comme si j’étais né orphelin, ou enfant trouvé. Mais de mettre des mots sur cette absence, ou cet abandon, ne me permet pas de m’y résoudre, puisque, ce n’est pas lui qui s’est séparé de nous, c’est le monde en état de chaos, cette folie universelle qui a rompu le contact entre l’enfant et son père. Pour le père la distance n’était rien. Il l’avait acceptée lorsqu’il s’est engagé comme médecin dans l’armée britannique, qu’il a voyagé en Guyane, puis au Cameroun et au Nigeria. Cela faisait partie de son métier d’homme. […]

 

 

 

Vers la deuxième partie…

Si vous avez aimé, et que vous voulez en savoir un peu plus, surveillez bien vos alertes, la quatrième et dernière partie arrive bientôt !