Luis Sepùlveda : Histoire d’une mouette et d’un chat qui lui apprit à voler (extraits)

A l’approche de Noël, voici un joli conte pour les enfants… et tous les autres.

Histoire d’une mouette et d’un chat qui lui apprit à voler, Edition Métailier, 2012.

Kengah, la mouette aux plumes argentées, plongea sa tête dans l’eau à plusieurs reprises jusqu’à ce que quelques étincelles de lumière arrivent à ses pupilles couvertes de pétrole. La tache visqueuse, la peste noire, collait ses ailes à son corps et elle se mit à remuer les pattes dans l’espoir de nager vite et de sortir du centre de la vague noire.

Tous les muscles tétanisés par l’effort, elle atteignit enfin la limite de la tache de pétrole et le frais contact de l’eau propre. Lorsque, à force de cligner des yeux et de plonger sa tête sous l’eau, elle réussit à nettoyer ses yeux, elle regarda le ciel et ne vit que quelques nuages qui s’interposaient entre la mer et l’immensité de la voûte céleste. Ses compagnes de la bande du Phare du Sable rouge devaient être loin, très loin.

C’était la loi. Elle aussi, elle avait vu des mouettes surprises par les vagues noires mortelles, et malgré son désir de descendre leur apporter une aide aussi inutile qu’impossible, elle s’était éloignée, respectant la loi qui interdit d’assister à la mort de ses compagnes.

Les ailes immobilisées, collées au corps, les mouettes étaient des proies faciles pour les grands poissons, ou bien elles mouraient lentement asphyxiées par le pétrole, qui en glissant entre leurs plumes bouchait tous leurs pores.

C’était le sort qui l’attendait et elle désira disparaître rapidement dans le gosier d’un grand poisson.

La tache noire. La peste noire. Tandis qu’elle attendait l’issue fatale, Kengah maudit les humains.

 – Pas tous. Il ne faut pas être injuste! Cria-t-elle faiblement.

Souvent elle avait vu d’en haut comment les grands pétroliers profitaient des jours de brouillard côtier pour aller en haute mer nettoyer leurs réservoirs. Ils jetaient à la mer des milliers de litres d’une substance épaisse et pestilentielle qui était entraînée par les vagues.

Elle avait aussi vu que parfois des petites embarcations s’approchaient des pétroliers et les empêchaient de vider leurs réservoirs. Malheureusement, ces petits bateaux aux couleurs de l’arc-en-ciel n’arrivaient pas toujours à temps pour empêcher qu’on empoisonne les mers.

Le chat grand noir et gros prenait le soleil sur le balcon en ronronnant et en pensant comme c’était bon d’être là à recevoir les rayons du soleil, le ventre en l’air, les quatre pattes repliées et la queue étirée.

Au moment précis où il se retournait paresseusement pour présenter son dos au soleil, il entendit le bourdonnement d’un objet volant qu’il ne sut pas identifier et qui s’approchait à grande vitesse. Inquiet, il se dressa d’un seul coup sur ses quatre pattes et arriva tout juste à se jeter de côté pour esquiver la mouette qui s’abattit sur le balcon.

C’était un oiseau très sale. Tout son corps était imprégné d’une substance noire et malodorante.

Zorbas s’approcha et la mouette essaya de se redresser en traînant les ailes.

– Ce n’était pas un atterrissage très élégant, miaula-t-il.

[…]

– J’ai été atteinte par une vague noire. La peste noire. La malédiction des mers. Je vais mourir, croassa plaintivement la mouette.

Surmontant son dégoût le chat lui lécha la tête. Cette substance qui la couvrait avait un goût horrible. Quand il lui passa la langue sur le cou il remarqua que la respiration de l’oiseau était de plus en plus faible.

– Écoute, mon amie. Je veux t’aider mais je ne sais pas comment. Essaye de te reposer pendant que je vais demander ce qu’on fait avec une mouette malade, miaula Zorbas avant de grimper sur le toit.