Luis Sepùlveda : Histoire d’une mouette et d’un chat qui lui apprit à voler (extraits)

A l’approche de Noël, voici un joli conte pour les enfants… et tous les autres.

Histoire d’une mouette et d’un chat qui lui apprit à voler, Edition Métailier, 2012.

Image : Chatmouette , Patrick Chassard, LEZARTS 88

2° épisode :

Zorbas le chat a promis à la mouette mourante de s’occuper de son oeuf jusqu’à la naissance du poussin.

Un chat qui couve

par Luis Sepùlveda, lu par Benoit

Le chat grand noir et gros passa des jours couché contre l’œuf le rapprochant avec toute la douceur de ses pattes de velours chaque fois qu’un mouvement involontaire de son corps l’éloignait de quelques centimètres. Ce furent des jours longs et inconfortables qui lui parurent parfois totalement inutiles, car il s’occupait d’un objet sans vie, une sorte de pierre fragile, même si elle était blanche tachée de bleu.

[…]

Toutes les nuits Colonello, Secrétario et Jesaitout [, trois chats amis de Zorbas,] venaient le voir, ils examinaient l’œuf pour vérifier si ce que Colonello appelait « les progrès espérés » se manifestait, mais après avoir constaté que l’œuf était le même qu’au premier jour, ils changeaient de sujet.

Jesaitout ne cessait de regretter que son encyclopédie n’indique pas la durée exacte de l’incubation et que la donnée la plus précise qu’il avait réussi à trouver dans ses gros livres était que cela pouvait durer entre dix-sept et trente jours, selon les caractéristiques de l’espèce à laquelle appartenait la mère.

Couver n’avait pas été facile pour le chat grand noir et gros. […]

Tous les matins […], Zorbas avait caché l’œuf au milieu des pots de fleurs du balcon pour consacrer quelques minutes à ce brave type qui changeait sa litière et ouvrait ses boîtes de nourriture. Il lui miaulait sa gratitude, se frottait contre ses jambes et l’humain s’en allait en répétant qu’il était un chat très sympathique.

[…]

Le soir du vingtième jour Zorbas somnolait et ne s’aperçut pas que l’œuf bougeait, légèrement, mais il bougeait, comme s’il voulait se mettre à rouler par terre.

Un chatouillement sur le ventre le réveilla. Il ouvrit les yeux et ne put s’empêcher de sauter en voyant que par une fente de l’œuf apparaissait et disparaissait une petite pointe jaune.

Zorbas prit l’œuf entre ses pattes de devant et vit comment le poussin donnait des coups de bec pour faire un trou par lequel sortir sa petite tête blanche et humide.

– Maman ! cria le poussin de mouette.

Mouette ou chaton ?

par Luis Sepùlveda, lu par Benoit

Le poussin a bien grandi ; il est devenu une jeune mouette nommée Afortunada. Maintenant, il est temps qu’elle apprenne à voler mais cette nouvelle expérience lui fait peur…

– Tu es une mouette. […] Nous t’aimons tous, Afortunada. Et nous t’aimons parce que tu es une mouette, une jolie mouette. Nous ne te contredisons pas quand tu cries que tu es un chat, car nous sommes fiers que tu veuilles être comme nous, mais tu es différente et nous aimons que tu sois différente. Nous n’avons pas pu aider ta mère, mais toi nous le pouvons. Nous t’avons protégée depuis que tu es sortie de ton œuf. Nous t’avons donné toute notre tendresse sans jamais penser à faire de toi un chat. Nous t’aimons mouette. Nous sentons que toi aussi tu nous aimes, que nous sommes tes amis, ta famille, et il faut que tu saches qu’avec toi, nous avons appris quelque chose qui nous emplit d’orgueil : nous avons appris à apprécier, à respecter et à aimer un être différent. Il est très facile d’accepter et d’aimer ceux qui nous ressemblent, mais quelqu’un de différent c’est très difficile, et tu nous as aidés à y arriver. Tu es une mouette et tu dois suivre ton destin de mouette. Tu dois voler. Quand tu y arriveras, Afortunada, je t’assure que tu seras heureuse et alors tes sentiments pour nous et nos sentiments pour toi seront plus intenses et plus beaux, car ce sera une affection entre des êtres totalement différents.

– J’ai peur de voler! piailla Afortunada en se redressant.

– Quand ce sera le moment je serai avec toi. Je l’ai promis à ta mère, miaula Zorbas en lui léchant la tête.

Afortunada la jeune mouette réussira-t-elle à prendre son envol et à quitter ses amis chats pour vivre sa vie de mouette ?

Ami lecteur, je te laisse décovrir la fin de l’histoire (et tout ce que j’ai laissé sous silence) dans ce livre tout empli d’humanité.

 

 

En ‘bonus’, voici un extrait du chapître 6 :

un inventaire étrange qui en rappelle un autre plus celèbre.

Lorsque la vieillesse s’installa dans ses os, Harry décida de troquer sa vie de navigateur contre celle de marin à terre et d’ouvrir le bazar avec tous les objets qu’il avait réunis. Il loua une maison de trois étages dans la rue du port, mais elle était trop petite pour exposer ses collections insolites, si bien qu’il loua la maison voisine, à deux étages, mais ce n’était toujours pas suffisant. Finalement, après avoir loué une troisième maison, il réussit à ranger tous ses objets – ranger évidemment selon son sens de l’ordre très particulier.

Dans les trois maisons réunies par des couloirs et des escaliers étroits, il y avait près d’un million d’objets parmi lesquels il faut signaler:

7 200 chapeaux à bord souple pour que le vent les emporte

160 gouvernails de bateaux pris de vertige à force de faire le tour du monde

245 feux de navires qui avaient défié les brumes les plus épaisses

12 télégraphes de commandement écrasés par des capitaines irascibles

256 boussoles qui n’avaient jamais perdu le nord

6 éléphants de bois grandeur nature

2 girafes empaillées contemplant la savane

1 ours polaire naturalisé, dans le ventre duquel se trouvait la main, naturalisée aussi, d’un explorateur norvégien

700 ventilateurs dont les pales rappelaient les brises fraîches des crépuscules tropicaux

1200 hamacs de jute, garantissant les meilleurs rêves

1 300 marionnettes de Sumatra qui n’avaient interprété que des histoires d’amour

123 projecteurs de diapositives montrant des paysages où l’on pouvait toujours être heureux 54 000 romans dans 4 7 langues

2 maquettes de la tour Eiffel, l’une construite avec un demi-million d’aiguilles à coudre et l’autre trois cent mille cure-dents

3 canons de bateaux corsaires anglais ayant attaqué Cartagena de Indias

17 ancres trouvées au fond de la Mer du Nord 200 tableaux de couchers de soleil

17 machines à écrire ayant appartenu à des écrivains célèbres

128 caleçons longs de flanelle pour hommes de plus de 2 mètres 7 fracs pour nains

500 pipes d’écume de mer

1 astrolabe s’obstinant à indiquer la position de la Croix du Sud

7 coquillages géants dans lesquels résonnait l’écho lointain de naufrages mythiques 12 kilomètres de soie rouge

2 écoutilles de sous-marins

Et beaucoup de choses encore qu’il serait trop long de nommer.