Un texte proposé par Anne B

L’artichaut, si on ne le mange pas, devient une fleur de paradis

Dans toute la saison du jardin rien n’est aussi somp­tueux que la fleur de l’artichaut. Elle surpasse tout, même les roses. Quand s’écartent les écailles du bouton floral, apparaît, énorme, une fleur ronde, d’un bleu idéal — en réalité mille fleurs insérées sur un large capitule tendre — le fameux fond d’artichaut. Douce comme le velours, par­fumée, La fleur d’artichaut est l’ornement du jardin. Cueillie, elle se conserve longtemps dans un vase, devient même une sorte d’immortelle qui pousse des bractées d’un blanc d’écaille nacrée et conserve, affaibli, un peu de bleu. Vous ne pourrez en avoir une que si vous connaissez un jardinier qui consente à garder l’arti­chaut jusqu’à ce qu’il fleurisse et le cueille ensuite pour vous l’offrir. Jamais on ne trouve ces fleurs à vendre. On les admire sur une plate-bande où brille leur rondeur comme une flamme de gaz, on a la chance d’en rece­voir.

Mais l’artichaut fermé, comme il est beau aussi, dans sa régularité, semblable à une pigne amandière renver­sée ! On ne s’étonne pas, à le voir, qu’il ait servi de modèle à des sculptures de bois ou de pierre. Ses écailles sont armées discrètement d’une petite griffe et son vert ou son violet mat sont drus. Il donne une impression d’extrême solidité. Et pourtant il est tendre ! La base des « feuilles » est charnue, blanche. On tirera entre les dents cette chair après l’avoir trempée dans une bonne vinai­grette. Quant au cœur, débarrassé du foin, il est tout sim­plement excellent. C’est un des meilleurs « morceaux » de la cuisine, qu’on le fasse frire, qu’on le farcisse aux cèpes secs ou qu’on le mouline en purée.

L’artichaut très jeune, lui, peut se consommer cru. D’un coup de ciseaux on taille l’extrémité des feuilles, on le coupe en lamelles que l’on trempe dans l’eau vinaigrée pour qu’elles ne noircissent pas, puis on accommode avec une vinaigrette agrémentée d’œuf dur pilé et de fines tranches de foie de porc salé — c’est une spécialité audoise et toulousaine — ou si l’on préfère, de jambon cru très sec. Inutile de saler, jambon et foie le sont suffi­samment.

Connaissez-vous l’artichaut farci ? Une fois blanchi — n’oubliez jamais de peler les queues et de les faire, elles aussi, bouillir — on écarte les feuilles et on introduit de la farce, entre les écailles, jusqu’au centre. Dans la cocotte où on les pose debout on peut mettre lardons et pommes de terre coupées en dés, ou, à la convenance, sauce tomate. Ce peut être une farce à la saucisse, mais aussi bien une farce maigre à l’œuf, au pain, à l’ail et au persil, ou une farce à la brousse. Comme vous ne trouve­rez plus d’artichauts farcis au menu d’aucun restaurant, sauf en Corse, ni d’ailleurs de jeunes artichauts en salade, je vous conseille d’en préparer.

Et pour l’été prochain — juillet/août — tâchez de vous faire ami avec un jardinier pour profiter d’une fleur de paradis.