Voici un texte court intégral et nostalgique de Philippe Delerm, ‘C’est peut-être mieux comme ça‘.
Philippe Delerm, ‘Je vais passer pour un vieux con et autres phrases qui en disent long’
Editions du Seuil, 2012, p.75 et 76
C'est peut-être mieux comme ça
C’est peut-être mieux comme ça
Si la sagesse salue la résignation, c’est que la vie est triste. Bien sûr, les contextes où l’on peut entendre « C’est peut-être mieux comme ça » sont multiples. Mais la séparation amoureuse domine, en nombre et en intensité. Il y a toujours un quitteur et un quitté, aucune phrase n’y peut rien, et surtout pas celle-ci, qui voudrait réduire la fracture, avec effet anesthésiant. Mais ce n’est pas possible. La musique même de ces mots est cadencée dans un registre d’amertume et de mélancolie poignant. C’est le ou la quitté(e) qui dit cela, avec un air faussement résolu, une petite avancée pitoyable du menton, le regard qui passe au-dessus de l’ami, de l’amie –il ne faut rien répondre.
Le pire, c’est que le délaissé a toujours raison. Seul le peut-être est de trop. Comme il est joli, ce peut-être. Il contient toutes les illusions mal effacées, les sources mêmes du malentendu prévisible, encore avivées par les bons moments vécus ensemble, les rêves qu’on croyait partager. C’est le peut-être qui fait mal. Au cœur d’un jugement presque objectif –oui, c’est mieux comme ça- on se donne avec le peut-être le coup de couteau douloureux de l’espérance, il n’y aura pas de cicatrisation.
Mais le mieux est fort aussi. Ce qu’on appelle mieux, c’est le moins bien, le retour à une estimation restrictive de sa propre vie. Il va falloir se contenter d’être sage, minorer ses jours, ses joies, ses peines, ne plus croire à ce qui n’était pas fait pour soi. Il y a quelqu’un derrière évidemment, quelqu’un qui nous dit que notre vie ne lui fait plus envie. Souffre-t-on davantage de désirer encore la vie de l’autre, ou de ne plus être pour lui une vie désirée ?
Avec cette phrase on revient à soi-même, à un plus petit soi, que l’on maîtrise avec beaucoup trop de justesse. L’amour était tout le contraire, ce n’était pas peut-être ou mieux. C’était comme ça.
La voix, l’éloquence contenue et mesurée de Benoit convient parfaitement au sens du texte….Merci
J’ai savoure à nouveau avec délice « l’odeur acre et sucrée des pommes ». Mais « ce n’était pas mieux comme ça ». Ça m’arrive aussi. Bon deconfinement .FV