Voici des extraits mordants du texte de Philippe Delerm : ‘Je garde mon maître’.

Philippe Delerm, ‘Je vais passer pour un vieux con et autres phrases qui en disent long’,

Editions du Seuil, 2012, p. 53 et 54

Je garde mon maître

par Philippe Delerm, lu par Benoit

Je garde mon maître

Sur les portails des jardins, les plaques « Attention au chien » dominent encore en nombre. Les « Attention chien méchant » à la philosophie tout aussi ambigüe reculent lentement. […] Mais un nouveau message se répand désormais, assorti de la photo d’une tête de dogue très peu amène, dont le regard vous fixe avec hostilité. La phrase qui l’accompagne est exquise : « Je garde mon maître ». […]

Je garde mon maître. Il ne s’agit plus de requérir une attention, pour susciter certaines précautions des visiteurs. C’est seulement une menace, une violence justifiée par avance. Si le mastard vous dévore, il n’aura accompli qu’un travail justifié, sa seule raison d’être.

L’aspect le plus horripilant de cette intimidation canine réside dans l’anthropomorphisme de la formulation. C’est le chien qui a la parole. A la première personne, il déclare la guerre à tout visiteur inopiné, fût-il demandeur de secours, ou même simplement facteur porteur d’un colis. Cette mauvaise humeur belliqueuse n’est pourtant pas celle du maître […].

On n’envisage pas de toucher à son portail. Hélas, il a gagné. Ca fait peur.