Né à Marseille, R. Frégni est l’auteur d’une quinzaine de romans, imprégnés de son expérience. Après avoir vécu cinq ans en Turquie, il a exercé divers métiers, dont celui d’infirmier psychiatrique.
Pendant 20 ans il animera des ateliers d’écriture à la prison de Baumettes à Marseille et à la prison d’Aix-en-Provence

Rencontré à Manosque où il vit, puis au festival du livre à Nice des années plus tard, j’ai suivi ses publications de manière assez régulière, sensible à son écriture forte, poétique, et mélancolique, qui n’est pas sans rappeler Giono lorsqu’il décrit la Provence avec le même amour.

J’ai particulièrement aimé Elle danse dans le noir, Où se perdent les hommes ou Je me souviens de tous vos rêves…

Cette histoire-ci d’un écrivain qui a trouvé un travail idéal dans une village de Provence : gardien d’un monastère inhabité, ne pouvait que me séduire.  Intrigue policière qui nous parle d’amitié, de solitude, de nostalgie et de vérités inattendues.
René Frégni nous parle de l’arrière-pays provençal, et j’ai choisi pour vous cet extrait d’une cueillette des olives dans les collines…

Anne L

René Frégni
DERNIER ARRÊT AVANT L’AUTOMNE
Éditions Gallimard 2019

R. Frégni : Dernier arrêt avant l'automne

par Anne L.

J’ai déniché dans le garage une pile de paniers. Avec une ficelle, j’en ai suspendu un à mon cou, à hauteur du ventre. J’ai pris un escabeau pliant et je me suis mis au boulot.

Les branches ployaient sous le poids des olives. Elles étaient aussi belles que des prunes, certaines étaient déjà violettes d’huile. Il avait plu souvent et fort durant l’été, après des années de dures sécheresses qui vous fendent en deux une maison de la cave au grenier. De l’eau au bon moment, tout est là. Les oliviers étaient plantés sur d’étroites terrasses soutenues par des murets de pierres aussi blanches que des os.

Je me suis mis à traire ces belles grappes de fruits. Quel plaisir de les sentir résister puis de les entendre dégrin­goler par vagues dans le panier, tel le petit galop d’un cheval. Comme un peu partout dans ces collines, ce sont des aglandaus, d’un ovale parfait et dures sous les doigts. Il y en a beaucoup plus du côté où l’arbre reçoit la lumière et la chaleur du soleil.

C’était un bel après-midi calme et bleu. On entendait parfois des appels, plus haut sur les coteaux, des rires, des lambeaux de joyeuses conversations. Les gens ici aiment ramasser les olives en rêvant ou en racontant leur vie. Des voix graves d’hommes, des rires de femmes… En bas, Riez était comme un pain qui sort du four, long et doré. Le Colostre étincelle une seconde entre deux maisons, disparaît et va scintiller plus loin au milieu des jardins, en filant vers Saint-Martin-de-Brômes.

Pour la première fois, dans le silence tiède de ces collines, mon cœur retrouvait la paix, au rythme des petits

|paquets d’olives qui tombaient dans le panier. Quand il était plein, j’allais le vider dans des caisses en plastique vert, au fond du garage.

Solex (ma chatte) ne me quittait pas d’une semelle. Lorsque je montais sur l’escabeau, elle allait se percher pour me voir. (…) sur les plus hauts rameaux et du bout de sa patte elle effleurait ma main près de moi. Entre deux paniers, je la prenais dans mes bras et lui grattais le ventre. Avec les premiers froids, sa fourrure avait doublé de volume, son poil était plus épais, plus doux, il avait foncé autour des oreilles. Tellement agréable à caresser.

J’ai travaillé jusqu’à ce que le soleil disparaisse. Le ciel était soudain comme la gorge des pigeons. Le vert jouait avec le violet, le bleu avec le gris. Comme les plumes de cet oiseau, des roses extraordinaires glissaient, flambaient, s’éteignaient, allumaient d’autres gris sous le ventre des nuages, embrasaient d’un coup la crête noire de forêts immenses.

J’avais grimpé au cœur d’un arbre et je regardais, ébloui, la féerie du monde. Qui aurait pu se douter, face à tant de beauté, à l’intelligence si parfaite de toutes ces couleurs, à cette explosion de vie, que nous avions rendu en quelques années cette planète malade ? Il y a cent mille ans, des hommes avaient regardé comme moi, peut-être perchés dans des arbres, ce spectacle grandiose. Étions-nous trop prétentieux, trop bêtes, pour dédaigner ainsi cette beauté, pour la saccager? (…)

Tous les deux jours, j’apportais ma cueillette dans un petit moulin à huile, au bord du Verdon, dans une vallée qui s’ouvre sous les murailles du château des Templiers de Gréoux. Je redoutais que mes olives perdent de leur poids, entassées dans des caisses au fond du garage.

L’homme qui travaillait là, en treillis et chapeau de brousse, le visage rapidement taillé au burin, ressemblait plus à un ancien légionnaire qu’au propriétaire d’un modeste moulin. Poings sur les hanches, jambes écartées, il me regardait sortir les caisses de ma voiture et me lançait systématiquement à la place de bonjour : « Le rendement est mauvais, elles sont gorgées d’eau ! »

Cinq minutes plus tard, il était fier de me laisser pénétrer dans la salle des machines. Il m’expliquait quelque chose en agitant les bras, mais le vacarme du broyeur et des deux malaxeurs pulvérisait chacun de ses mots. À l’autre bout de la salle, un mince filet d’huile plus verte que l’herbe au début du printemps sortait d’un canon de fontaine. Il n’y avait pllus alors dans cette pièce qu’une immense odeur de fruit, aussi violente que le bruit. On faisait partie de l’olive, on la comprenait. (…)

J’ai déniché dans le garage une pile de paniers. Avec une ficelle, j’en ai suspendu un à mon cou, à hauteur du ventre. J’ai pris un escabeau pliant et je me suis mis au boulot.

Les branches ployaient sous le poids des olives. Elles étaient aussi belles que des prunes, certaines étaient déjà violettes d’huile. Il avait plu souvent et fort durant l’été, après des années de dures sécheresses qui vous fendent en deux une maison de la cave au grenier. De l’eau au bon moment, tout est là. Les oliviers étaient plantés sur d’étroites terrasses soutenues par des murets de pierres aussi blanches que des os.

Je me suis mis à traire ces belles grappes de fruits. Quel plaisir de les sentir résister puis de les entendre dégrin­goler par vagues dans le panier, tel le petit galop d’un cheval. Comme un peu partout dans ces collines, ce sont des aglandaus, d’un ovale parfait et dures sous les doigts. Il y en a beaucoup plus du côté où l’arbre reçoit la lumière et la chaleur du soleil.

C’était un bel après-midi calme et bleu. On entendait parfois des appels, plus haut sur les coteaux, des rires, des lambeaux de joyeuses conversations. Les gens ici aiment ramasser les olives en rêvant ou en racontant leur vie. Des voix graves d’hommes, des rires de femmes… En bas, Riez était comme un pain qui sort du four, long et doré. Le Colostre étincelle une seconde entre deux maisons, disparaît et va scintiller plus loin au milieu des jardins, en filant vers Saint-Martin-de-Brômes.

Pour la première fois, dans le silence tiède de ces collines, mon cœur retrouvait la paix, au rythme des petits

|paquets d’olives qui tombaient dans le panier. Quand il était plein, j’allais le vider dans des caisses en plastique vert, au fond du garage.

Solex (ma chatte) ne me quittait pas d’une semelle. Lorsque je montais sur l’escabeau, elle allait se percher pour me voir. (…) sur les plus hauts rameaux et du bout de sa patte elle effleurait ma main près de moi. Entre deux paniers, je la prenais dans mes bras et lui grattais le ventre. Avec les premiers froids, sa fourrure avait doublé de volume, son poil était plus épais, plus doux, il avait foncé autour des oreilles. Tellement agréable à caresser.

J’ai travaillé jusqu’à ce que le soleil disparaisse. Le ciel était soudain comme la gorge des pigeons. Le vert jouait avec le violet, le bleu avec le gris. Comme les plumes de cet oiseau, des roses extraordinaires glissaient, flambaient, s’éteignaient, allumaient d’autres gris sous le ventre des nuages, embrasaient d’un coup la crête noire de forêts immenses.

J’avais grimpé au cœur d’un arbre et je regardais, ébloui, la féerie du monde. Qui aurait pu se douter, face à tant de beauté, à l’intelligence si parfaite de toutes ces couleurs, à cette explosion de vie, que nous avions rendu en quelques années cette planète malade ? Il y a cent mille ans, des hommes avaient regardé comme moi, peut-être perchés dans des arbres, ce spectacle grandiose. Étions-nous trop prétentieux, trop bêtes, pour dédaigner ainsi cette beauté, pour la saccager? (…)

Tous les deux jours, j’apportais ma cueillette dans un petit moulin à huile, au bord du Verdon, dans une vallée qui s’ouvre sous les murailles du château des Templiers de Gréoux. Je redoutais que mes olives perdent de leur poids, entassées dans des caisses au fond du garage.

L’homme qui travaillait là, en treillis et chapeau de brousse, le visage rapidement taillé au burin, ressemblait plus à un ancien légionnaire qu’au propriétaire d’un modeste moulin. Poings sur les hanches, jambes écartées, il me regardait sortir les caisses de ma voiture et me lançait systématiquement à la place de bonjour : « Le rendement est mauvais, elles sont gorgées d’eau ! »

Cinq minutes plus tard, il était fier de me laisser pénétrer dans la salle des machines. Il m’expliquait quelque chose en agitant les bras, mais le vacarme du broyeur et des deux malaxeurs pulvérisait chacun de ses mots. À l’autre bout de la salle, un mince filet d’huile plus verte que l’herbe au début du printemps sortait d’un canon de fontaine. Il n’y avait pllus alors dans cette pièce qu’une immense odeur de fruit, aussi violente que le bruit. On faisait partie de l’olive, on la comprenait. (…)