En avant-goût de la reprise de notre lecture scénique Aimer toujours, aimer encore, voici un enregistrement d’une lettre de Simone de Beauvoir à Jacques-Laurent Bost qui fait partie des textes qui seront lus durant cette soirée du 13 janvier à Magnan (salle Rampe rouge)

Ce qu’en dit l’éditeur :
Quand commence cette correspondance, en 1937, Simone de Beauvoir, le Castor, a vingt-neuf ans, elle est depuis huit ans liée à Sartre, et vit avec lui ; elle a beaucoup écrit déjà, mais sans avoir encore rien publié. Jacques-Laurent Bost a vingt et un ans, il est venu du Havre faire des études de philosophie à Paris. Ce sont donc encore de très jeunes inconnus, et la notoriété de Sartre n’en est qu’à ses balbutiements. Très vite, leur relation va passer de l’amitié chaleureuse à une longue liaison amoureuse. Mais l’histoire privée qui naît et grandit au long de ces pages est tout entière marquée par la menace de la guerre. C’est de tout cela que témoignent ces lettres, mais aussi de la manière si personnelle qu’avaient Simone de Beauvoir et Jacques-Laurent Bost de concevoir les rapports amoureux et la jalousie. Intenses et vivantes, ces lettres nous plongent dans une véritable conversation tenue par deux amants passionnés et brillants, aux premières heures de leur philosophie de l’existence.

Lettre adressée à Jacques Laurent Bost par Simone de Beauvoir lors d’un voyage au Maroc

Mazagan, Maroc, Mercredi 3 août 1938

Je continue à parler dans le vide, mon amour. Souvent quand je vous parlais le soir, vous aviez les yeux fermés, vous ne répondiez pas du tout ; mais vous me serriez contre vous ou vous me souriiez et parfois vous disiez : « J’aime bien que vous me parliez » – maintenant il n’y a plus rien. Je ne sais trop où vous lirez mes lettres, ni avec quel visage. Je pense seulement que vous aimerez les recevoir. Moi j’aime vous écrire, ça me rend un peu moins vain ce long dialogue que je poursuis avec vous, à travers ce voyage. Je suis partie me promener dans la vieille ville portugaise et penser à vous. J’ai marché, et j’imaginais que vous étiez près de moi, je vous disais des tas de choses. Quelquefois je vous disais tu, je vous disais par exemple : je t’aime.

C’est une heure déjà mélancolique, une heure pour se sentir tout en exil loin de toi, mon amour, pour mal se rappeler le passé, pour mal prévoir le retour, pour savoir seulement que je t’aime avec violence, que je voudrais toucher ta main. J’ai été si heureuse avec toi – il me semble que jamais je ne te l’aurai assez dit. Je pense que personne ne peut savoir, pas même toi, comme l’amour que j’ai pour toi, l’amour que tu m’as donné, ont transfiguré ma vie. Je voudrais pouvoir vous donner, mon amour, un énorme bonheur, une vie aussi plaisante et riche que vous ayez jamais pu la souhaiter.

Je me sens si fort unie avec vous, c’est merveilleux – vous m’êtes présent tout le temps, et quand je pense à vous, je pense vous que j’aime, et quand je pense à moi, je pense moi qu’il aime – ce n’est plus le même moi qu’avant qui se promène à travers le Maroc. Je me suis devenue précieuse soudain, et toutes ces villes, et cette plaine de sable violette que je vois au loin me semblent toutes romanesques parce j’y promène mon amour pour vous.

C’est bien du bavardage, tout ce que je vous écris là, mais sachez que pendant des heures, de jour, de nuit, je bavarde ainsi dans la joie, où dans le regret, et toujours avec une tendresse passionnée. Je vous aime – pas d’un amour de vacances, d’un amour d’un instant, d’un grand amour dont je veux les tristesses comme les joies, d’un amour où je suis engagée corps et âme, si lourd, si précieux que parfois j’en ai le souffle coupé, je voudrais être dans vos bras, fermer les yeux, ne plus rien dire.

Le Castor

Simone de Beauvoir,  » le Castor » (de guerre) pour ses amis, professeur de philosophie au lycée Molière à Paris, 29 ans, liée à Sartre, vivant avec lui. Jacques -Laurent Bost, (dit petit Bost) venu du Havre, où il avait Sartre comme professeur, faire ses études à Paris, 21 ans. Son attirance pour Sartre s’étend à Simone de Beauvoir et eux, ils aiment à l’associer à leur existence…

Il plut tout de suite au « Castor »:  » Il avait un sourire éclatant, une aisance princière, car il estimait en bon protestant, que sur cette terre, n’importe quel homme est roi… Moi dès qu’il poussa la porte du café « La métropole » d’un air à la fois hardi et intimidé, j’eus de la sympathie pour lui… « 

Le 14 juillet 1938, Simone de Beauvoir pris le train pour la Savoie et y retrouva Bost. Au cours d’une randonnée, dans une grange, leurs relations basculèrent. Elle le raconte à Sartre dans une lettre du 27 juillet. « Il m’est arrivé quelque chose d’extrêmement plaisant et à quoi je ne m’attendais pas du tout, c’est que j’ai couché avec le petit Bost voici trois jours, naturellement c’est moi qui lui ai proposé. »