Nous sommes en préparation d’une lecture polyphonique évoquant Alberto Giacometti, ce singulier peintre et sculpteur qui a marqué nombre d’artistes après lui.

 

Nous profitons des Nuits de la Lecture 2021 pour partager avec vous les prémisses de cette lecture scénique dont voici le deuxième épisode.

Pour le premier épisode, c’est par ici…

giacometti

Alberto Giacometti : notes sur les copies

« Assez vite, j’ai commencé à dessiner d’après nature, et j’avais l’impression que je dominais tellement mon affaire que je faisais exactement ce que je voulais. Je m’admirais, j’avais l’impression de pouvoir tout faire, avec ce moyen formidable : le dessin. […] Je dessi­nais pour communiquer, pour dominer. »


Alberto Giacometti : Ecrits, Edition Hermann Arts – Fondation Giacometti  – 1991.

Cet ouvrage rassemble les textes que l’artiste avait publiés de son vivant, et des entretiens au cours desquels il exposait ses vues sur l’art, ainsi que des extraits de carnets et feuillets inédits, ce volume rassemble les Écrits d’Alberto Giacometti.

Notes sur les copies

par Alberto Giacometti, lu par Marie-Pierre | (musique Kenny G : Forever In Love

Comme il m’est impossible de dater d’une manière précise la plus grande partie de ces copies, je vais essayer d’en donner une chronologie sommaire.

Depuis que j’ai vu des reproductions d’œuvres d’art, et cela remonte à ma plus lointaine enfance, cela se mêle à mes plus anciens souve­nirs, j’ai eu l’envie immédiate de copier toutes celles qui m’attiraient le plus et ce plaisir de copier ne m’a en fait jamais plus quitté.

Les copies reproduites ne sont qu’une petite partie de toutes celles que j’ai faites dont beaucoup sont perdues, surtout celles d’après des originaux dans des petits carnets, et soudainement je me vois à Rome à la Galerie Borghese copiant un Rubens, une des grandes découvertes de la journée, mais à ce même instant je me vois simultanément dans tout mon passé ; à Stampa près de la fenêtre vers 1914 concentré dans la copie d’une estampe japonaise, je pourrais en décrire tous les détails, et en 15 le Dürer et toutes les gravures de Rembrandt et puis un Pinturicchio qui surgit et toutes les fresques des peintres du Quattrocento dans la Chapelle Sixtine, mais je me vois aussi quarante ans plus tard rentrant le soir dans mon atelier à Paris feuilletant des livres et copiant telle ou telle sculpture égyptienne ou une miniature carolingienne mais aussi des Matisse. Comment dire tout cela ? Tout l’art du passé, de toutes les époques, de toutes les civilisations surgit devant moi, tout est simultané comme si l’espace prenait la place du temps. Désemparé je m’arrête, trop de choses à dire et comment les dire ?

Quelque part j’ai encore douze ans, j’ai même peut-être surtout douze ans, mais je ne sais pas, je ne sais pas. Je voulais parler de ces copies, j’en suis incapable ; je peux les regarder, je peux m’en souvenir, mais je ne sais pas pourquoi je ne peux rien en dire ou sinon il faudrait raconter toute ma vie, tout ce dont je me souviens. 

Giacometti - Le couple

D’après Dürer

giacometti la cage

D’après Van Eyck

D’après Boticcelli

Oeuvres d’Altert Giacometti

Images : Fondation Giacometti

Charles Juliet 

Grand poète et écrivain Charles Juliet a écrit sur de nombreux peintres. Ici il décrit l’œuvre et la vie de Giacometti en mettant en lumière ce qui le touche personnellement, à savoir la quête d’une vérité intérieure que révèlent les sculptures et les dessins de l’artiste. Il saisit au plus près l’humilité et la ferveur d’un artiste déchiré de contradictions et cela force le respect.

Charles Juliet : Giacometti – Editions POL – 1995

Le chien

par Charles Juliet, lu par Betty | musique Kenny G : Alone

« Un jour je me suis vu dans la rue comme ça, j’étais chien »

Alberto giacometti

le Chien

Le chien

Sa vie durant, il semble que Giacometti n’ait eu qu’un désir, ou plutôt qu’une obses­sion : inventer une forme, une image, où tout serait dit de l’homme et de sa condition. […]

Et Giacometti notait : « J’ai toujours eu l’impression ou le sentiment de la fragilité des êtres vivants, comme s’il fallait une éner­gie formidable pour qu’ils puissent tenir debout. » Et il poursuivait : « Jamais je n’arri­verai à mettre dans un portrait toute la force qu’il y a dans une tête. Le seul fait de vivre, ça exige déjà une telle volonté et une telle énergie… » […]

« Je cherche la ressemblance absolue et non l’apparence. » Giacometti ne s’applique plus à copier l’apparence, à restituer le plus fidèlement possible ce que déchiffre son regard. Il sait maintenant que la réalité est ce mixte fluctuant et insaisissable constitué par la chose vue et l’émotion qu’elle fait naître. A quoi s’ajoute ce qui ne cesse de l’agiter et le préoccuper : une angoisse de fond qu’il n’a jamais pu vaincre – le tourment issu du besoin et de l’impossibilité de pénétrer la réalité, d’accéder à la connaissance – la conscience de notre solitude – la nostalgie d’une vie autre, exempte de toute souf­france – la crainte de cette mort toujours prête à frapper… Mais comment traduire tout cela ? Par quels moyens donner à voir ce qu’il a tant de mal à fixer et qui échappe à sa prise ?

« J’ai toujours échoué » constate amère­ment Giacometti. Accès de découragement, qui culminent en des crises d’une rage destructrice.

Un soir de détresse, accablé plus que de coutume par un sentiment d’échec, Giaco­metti, tête basse, marche sous la pluie. « Je me suis senti comme un chien. Alors j’ai fait cette sculpture ! »

Un chien étique – flancs creux, peau du ventre plaquée contre les vertèbres, hautes pattes grêles vidées de toute vigueur mais qui ont encore la force d’avancer, long cou démesuré, long museau plongeant, tête sans volume aux oreilles tombantes. Mais ce museau presque à ras de terre, en quête d’une trace, de même que la longue queue maigre, qui n’est pas pendante, et les pattes, en position de marche, montrent à l’évi­dence que ce chien famélique n’a pas renoncé. Exténué, pattes flageolantes, il se traîne encore, cherchant quelqu’un ou un peu de nourriture.

Etonnant, prodigieux, tragique auto­portrait.

Le chat